Bad Boys
L'archétype du manga shônen des années 90's. En soi, rien d'original, une équipe de héros qui bastonnent les méchants, qui s'entraîne, progresse (très vite !) et puis hop ! un petit tournoi,...
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le 20 juil. 2013
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Yoshihiro Togashi se veut l'auteur de mon Shônen favori : Hunter x Hunter. J'attendrai la fin de ce bijou du genre (qui n'est pas prête de survenir) avant de me pencher sur son cas. D'ici à ce que jour advienne, il convient de récapituler le parcours de cet auteur de génie qui, avant de toucher la grâce, a quand même dû se salir un peu les doigts.
Car la fascination pour l'ouvrage d'un auteur n'implique pas nécessairement d'accepter tout de lui ; inconditionnellement, en faisant taire à tout prix son esprit critique pour ne pas entacher la respectabilité d'un homme qu'on aurait érigé au rang de divinité (Lecteurs de One Piece et Jojo's Bizarre Adventure : je vous salue). Pour avoir lu Yu Yu Hakushô bien après Hunter x Hunter, je puis attester de la chute vertigineuse entreprise en passant de l'un à l'autre.
En son temps, ce manga se voulait l'une des vedettes du Shônen Jump, côtoyant les anges - à savoir Dragon Ball et Slam Dunk - en tête du classement. Pour autant, Yu Yu Hakushô n'aura pas joui d'une succès réellement retentissant en France. Il faut dire que pour que le succès s'établisse à l'étranger, l'adaptation animée est un impondérable. Dragon Ball Z avait eu droit à la «voie royale» de son temps en étant diffusé sur l'émission la plus regardée de la jeunesse au début des années 1990. Slam Dunk et Yu Yu Hakushô ne bénéficièrent pas d'un pareil privilège. Vae Victis, et tant pis pour nous.
Adaptation animée il y eut pour le manga. Mais d'assez piètre qualité, dont le budget ne semblait pas vraiment à la hauteur de la notoriété de l'œuvre et dont la diffusion se fit sur des canaux plus privés et moins prisés en dehors des chaînes japonaises.
Mais à quoi le manga devait-il son renom ? À rien d'abord, à peu de choses ensuite et enfin, à un approfondissement inespéré du genre nekketsu hélas très vite avorté. Avorté du fait de la fatigue de l'auteur. La parution hebdomadaire d'un Shônen paraît aller de soi pour nous autres, mais les conditions de travail harassantes pour les dessinateurs justifièrent ce ras-le-bol de Togashi qui, au sommet de la gloire, choisit de tout abandonner.
Si, au cours de certaines critiques de Shônens à succès, il m'arrive inopinément (et même quasi systématiquement) de rappeler qu'il faut s'avoir s'arrêter à temps, Togashi a su se montrer suffisamment atypique pour me prendre à rebours. Il s'était arrêté en pleine ascension. Je ne parle pas là de la montée du succès de sa création, mais de la qualité de l'intrigue et de tout ce qui y fut associé, dessins y compris.
Yu Yu Hakushô, sur dix-neuf tomes, se décomposera en quatre arcs distincts, chacun marquant une rupture avec le précèdent. Le premier, tout d'abord, se focalisera sur la découverte du monde des démons une fois que le personnage principal aura obtenu ses pouvoirs suite à un début malheureux (à savoir, sa mort temporaire).
Aucune surprise à attendre de ce côté. Il est question de bastons insignifiantes se remportant à grand coup de celui-qui-a-la-plus-grosse, d'ennemis oubliables et oubliés, de la révélation de pouvoirs reposant tous sur la force brute et d'un univers qui ne sera jamais véritablement exploité, faisant plus office de tapisserie qu'autre chose. Nous avons alors les deux pieds dans tout ce que le nekketsu produit de plus standard et aseptisé. Un lecteur averti aujourd'hui aurait très vite fait de se détourner de ce que nous offrait l'auteur alors.
S'ensuit l'arc du tournoi. Le tournoi. La grosse ficelle nekketsu réellement popularisée par Dragon Ball. Grosse ficelle, certes, mais qui a su faire ses preuves. Il s'agit là du prétexte tout trouvé pour introduire un large panel de nouveaux antagonistes et de faire monter la pression, confrontation après confrontation. Malheureusement, du point de vue de l'intrigue stricte, il n'y a, là encore, rien à en attendre. Les personnages principaux remportent match après match et parviennent en final face au groupe présenté comme leurs rivaux depuis le début des hostilités.
Je ne ferai pas l'offense au lecteur de cette critique de préciser qui remportera le tournoi, ce serait insulter son intelligence.
Mais si l'intrigue n'est pas du tout au rendez-vous une fois encore, Togashi présente une nouvelle facette - une première facette plutôt - d'un style qui lui sera propre et ne le quittera plus par la suite. La noirceur et la dualité de l'âme des antagonistes, le tout associé à une première incursion dans le morbide.
Si Kishimoto avait eu durant un temps le potentiel pour renouveler le nekketsu, si Oda pouvait, à ses débuts, se présenter comme celui qui incarnait le genre dans tout ce qu'il avait de splendide, Yoshihiro Togashi révolutionnait le Shônen contemporain, étape par étape. Yu Yu Hakushô n'est pas juste son premier manga à succès, il est le contexte pré-révolutionnaire qui donnera plus tard naissance à Hunter x Hunter.
La complexité et la réelle nuance apportée à des personnages cruels et foncièrement maléfiques prennent au dépourvu. Que ce soit Toguro le cadet ou Sakyo dans un premier temps, Sensui et Itsuki par la suite ou les trois belligérants du royaume démoniaque, on se surprend à être imprégné par le charisme (d'abord balbutiant) de ces antagonistes fascinants et pourtant répugnants à bien des égards. Ceux-là - qui sauront marquer les esprits - seront bien évidemment entourés d'une pléthore de méchants lambdas pour donner le change, mais un premier pas aura été effectué dans la direction de ce qui constituera par la suite le style sombre et macabre de Yoshihiro Togashi. Un style qui se mariera néanmoins à merveille avec le genre nekketsu, jusque là assez gnangnan et gentillet, malgré les débordements de violence immatures.
Le deuxième arc mêlera alors le contexte aux antagonistes : la recherche d'une destruction sourde mais suave d'un monde par nihilisme plus que par revanche, par jeu plus que par colère. Observer un groupe monstrueux, cette fois non plus par l'apparence, mais par le pourrissement de leur être profond. Ils n'ont rien à gagner à vouloir créer le monde qu'ils cherchent à instaurer, ils ont même, à titre individuel, tout à perdre puisque les plus lucides de la bande savent que cela occasionnera leur mort ; et pourtant, ils le font avec entrain.
Comment ne pas craindre des ennemis qui n'ont rien à perdre et sont prêts à mourir le sourire aux lèvres ?
Petit à petit, après avoir esquissé le domaine horrifique et réellement lugubre de ce que Togashi avait à nous présenter, le lecteur se laissera couler lentement dans le marasme et le malaise qui n'en finira pas de le happer, comme le digérant lentement. Ce qui était parti comme un nekketsu tout ce qu'il y avait de plus conventionnel et pauvre révélera des perles de noirceur au point d'incarner un manga tout à fait différent. C'est glauque tout en restant restant naturel. Sinistre sans avoir à forcer :
La plus parfaite illustration du genre étant peut-être le retour de Toguro l'aîné qui, dévoré vivant par un membre du groupe de Sensui (oui), finira par subvertir celui-ci de l'intérieur, évoluant comme un cancer qui, petit à petit, se substituerait à son hôte ; ce dernier se sentant lentement dévoré de l'intérieur, terrifié et, le tout, nous étant chroniqué avec une fascination glauque.
Cette noirceur de ton et cette maturité nouvelle - qui se retranscrira même sur le dessin de l'auteur - contaminera d'abord l'environnement, le lecteur puis, enfin, les personnages principaux pour notre plus grand plaisir. D'abord archétypés pour rentrer dans des catégories très carrées (les impulsifs au grand cœur, le type froid désagréable et distant ainsi que le sage rationnel et calme), leur personnalité, ainsi que la complexité de leur caractère se dévoileront au cours du dernier arc, stoppé abruptement.
Au cours de ce bouquet final, le personnage principal, d'abord compatissant et humain, finira par se désintéresser de ses semblables au point de considérer l'idée selon laquelle certains démons pourraient dévorer ses congénères pour faciliter la paix sociale au royaume des démons. Suivant le parcours inverse, Hiei, son rival officieux, au tempérament froid et lugubre, révélera sa vulnérabilité tandis que le plus raisonnable des trois s'avérera en réalité être le plus cruel de leur bande.
Personne n'est épargné par la griffe de Togashi. La pureté et l'innocence ne sont plus permises.
Dernier arc qui, sans une ombre au tableau, parachèvera l'évolution d'un style aussi bien graphique que narratif d'un auteur passé en peu de temps de l'anecdotique au génie créatif. Yu Yu Hakushô pourrait être considéré comme un premier jet de Yoshihiro Togashi, une mise en jambe ou un galop d'essai. Il n'a fait que s'échauffer pour révéler son potentiel latent qui aura vite fait de nous captiver.
La note attribuée présentement se veut malgré tout aussi mitigée car l'œuvre s'avère particulièrement courte (dix-neuf volumes) et ne commence à dévoiler les bribes de son potentiel au premier quart pour n'éclore enfin véritablement que deux tomes afin sa conclusion brutale et sujette aux grincements de dents de lecteurs frustrés, dont je fus.
Mais c'est une lecture dont on ne saurait se priver. Ne serait-ce que pour connaître l'avant Hunter x Hunter.
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Créée
le 9 nov. 2019
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