A Silent Voice
7.8
A Silent Voice

Manga de Yoshitoki Oima (2013)

Plutôt être sourd que de lire ça. Enfin... je me comprends

Ah, les bons sentiments. Ceux qui me suivent d'assez longue date savent que j'abhorre ces vilaines choses. Et c'est peu dire. Il suffit d'abord de relever la liste de mes mangas favoris afin d'observer que mon classement se sera constitué sous l'égide de la noirceur et du désespoir. Il y a comme une inadéquation entre ce que je suis disposé à aimer et ce qu'on me délivre ici.
Notez bien cependant que je ne suis pas ce monstre froid et haineux dont le portrait se dessine un peu plus clairement critique après critique. Ce ne sont pas tant les bons sentiments qui me rebutent, mais la légèreté avec laquelle ils nous sont jetés en travers de la gueule. Le bon sentiment, la mièvrerie devrais-je plutôt dire, produit à la seule fin de me tirer une larme ou de faire battre un peu plus fort mon petit cœur contrit par une émotion soudaine, ça ne prend pas. Mais alors pas du tout. Cela produit même l'effet inverse ; comme un sort de magie blanche jeté inconséquemment sur une créature des ténèbres. Le mignon poussif, le.... «touchant» disent certains, c'est rien moins que de l'affèterie artistique. Ces dames s'en contenteront peut-être, mais n'étant pas en ce qui me concerne une créature que l'on saisit facilement par la dopamine, je ne me laisse pas porter par un récit qui cherche à m'ensevelir sous la cajolerie insidieuse. Non, à la place, je reste droit, implacable et les yeux ouverts. Et quand les bons sentiments - factices ceux-là - viennent me chatouiller le nez, alors, je montre les crocs et, fatalement, je mords.
Au fond, je suis bel et bien ce monstre froid et cynique que je me défends d'être. Mais c'est pour le mieux.


La première information que j'ai à faire parvenir concernant ce manga est datée puisque quelques restructurations ont eu lieu sur Sens Critique durant le délai séparant ma lecture de l'œuvre et la rédaction finale de sa critique. Quand le Top 100 Shônen n'était pas rétracté en Top 50 (pourquoi d'ailleurs, pourquoi ?!), A Silent Voice y figurait. Or, il faudrait m'expliquer comment un manga Shônen - en principe adressé à un public de jeunes garçons - pouvait aussi figurer dans le classement des meilleurs mangas Josei, catégorie s'adressant à des femmes adultes. Il y a comme de l'antithétique dans l'air. De là à dire que tous les Shônens sont si mauvais qu'il faille piocher dans des catégories à part pour que le compte soit bon...
A Silent Voice a tout de même le mérite d'être infiniment plus recherché, au regard du cadre de son récit et de sa thématique, que ne le sont la plupart si ce n'est la quasi intégralité des Shônens parus à cette date. L'œuvre n'a rien d'un Shônen et justifie amplement que je m'interroge quant à sa classification douteuse. Sans doute est-ce une erreur qui incombe à ceux qui avaient répondu au sondage du Top Shônen. La polémique n'a de toute manière plus de raison d'être puisque ledit Top 100 n'est plus qu'un Top 50.


Puisque le premier contact avec un manga, la première impression qui s'en dégage, émane d'abord de son dessin - à moins que certains ne lisent en braille un manga sur la surdité - je me dois de dire que rien n'était fait de ce côté-là pour me séduire. Non, vraiment, le dessin n'a rien d'attractif. Il a sa propre identité, ça n'est certainement pas une décalcomanie de ces visages rose-bonbon produits en batterie, mais ça ne m'évoque rien.
Les premières esquisses m'auront rappelé les contours gras du Cell Shading dans les jeux-vidéos. Pratique tombée en désuétude mais qui avait connu son effet de mode au milieu des années 2000. Je n'avais jamais vu ça dans un manga et, très honnêtement, j'ai très bien su vivre sans.
Mais même sans décalcomanie, les visages restent impersonnels, sans caractère. Les personnalités qui s'y accordent tout autant. La vacuité des personnages de Josei se veut servie par des dessins à sa mesure. Cela fait ton sur ton au moins. Et puis... les traits éminemment féminins (Josei oblige) préfigurent de la niaiserie à venir. Nous n'aurons pas été pris en traître.
Y'a presque un côté Manhwa au niveau des dessins, soit le fond du panier de ce qu'on peut attendre des graphismes lorsqu'on a un peu de bon goût. Cela dit ça s'améliore au bout d'un tome et devient même plaisant à lire. Rien qui n'aille au-delà, mais plaisant tout de même sur le plan de l'esthétique et de l'esthétique seulement.


La première impression est en tout cas loupée. La faute n'incombe pas au dessin - j'ai vu pire, bien pire - mais aux modalités de narration comprise dans l'introduction. Une introduction dont on ne sait trop à quoi elle sert puisque les éléments susceptibles de présenter ce que sera ce manga n'adviennent que sur le tard. D'ici là, on se perd, on se fourvoie, on baigne, on flotte... on s'emmerde dans l'expectative la plus absolue avant d'en venir aux faits.


Et les faits sont éloquents. Car, pour impulser une intrigue qui s'étalera sur plusieurs années, il faut justifier ce qui suivra par une origine. Une origine bancale. Et quand la base est branlante, le reste ne demande qu'à s'écrouler. En réalité, A Silent Voice tient debout si et seulement si on fait abstraction de l'exagération flagrante disséminée tout du long. Je parle de ce rapport excessivement immature du personnage principal face à l'handicap de la surdité d'une petite camarade qu'on ne retrouverait nulle part ailleurs dans le monde réel.
Qui, sérieusement, s'est déjà comporté ainsi avec un handicapé ? En principe, même si les enfants sont parfois cruels, cette vulnérabilité - chez une jeune fille très aimable en plus - en appelle le plus généralement à la bienveillance de ses contemporains. Prenez moi - en bien tout honneur - qui ne suis pas, a priori, quelqu'un de très aimable et encore moins de sympathique, jamais il ne me serait venu à l'idée de tourmenter une sourde-muette par curiosité malsaine. L'handicapé dans l'affaire, c'est Shoya. À moins d'être débile sur le plan clinique, personne n'aurait agi comme il l'a fait en primaire. C'est une méchanceté pire encore que celle que pourrait manifester le dernier des méchants de Shônen que d'avoir agi comme il l'a fait. Et sans motivation aucune offerte par la narration en plus.
A Silent Voice commençait à peine qu'il ne tenait pas debout.


Suite à ce premier constat édifiant et même incriminant à certains égards, deux questions pourtant primordiales me viennent immanquablement au bout de la plume :



  • Pourquoi mettre un élève handicapée dans une école qui n'est absolument pas adaptée à son handicap et où les professeurs ne maîtrisent pas même le langage des signes ?

  • Pourquoi faire participer une sourde muette à une chorale en sachant pertinemment qu'elle ne peut pas s'améliorer ?


Et je pose ces questions en connaissant pertinemment la réponse. À ces «pourquoi» j'ai le «parce que». Si l'auteur a pris ce parti - stupide s'il en est - c'est uniquement parce qu'elle pouvait ainsi faire surgir le drame ex-nihilo. Un drame qui, en dehors des impérities scénaristiques de son auteur, n'avait aucune raison d'être. Mais on me reprochera de ne pas suffisamment ouvrir mon cœur à cette œuvre empreinte de douceur, de poser trop de questions ; on me reprochera de réfléchir.
Mais soit. N'y réfléchissons pas. Laissons-nous plutôt emporter par la vague, mais ne nous étonnons pas de finir noyés après avoir été emportés par un tsunami de niaiseries.


Un garçon et une fille qui se rencontrent dès le premier chapitre.... S'il s'était agi d'un bon manga, l'issue aurait pu être aussi fascinante que déchirante. Mais puisque c'est un Josei.... la fin est écrite avant le début, tenez-le-vous pour dit.
Car oui, ce sera véritablement assommant de mièvrerie. Entre les visages proprets et les bons sentiments stériles débités à foison s'insinueront quelques perles de nigauderie de l'ordre de «Elle fait de son mieux» ou bien «Pourquoi ne pouvons-nous pas tous nous entendre ?» entre autres déblatérations de phrases creuses respirant un sens du faux franchement pestilentiel.


À l'insigne stupidité de Shoya résonnera celle de ses camarades manifestement au diapason. Ils s'en prendront à lui pour avoir perdu le concours de la chorale là où ils devraient le reprocher au directeur de l'école pour avoir eu l'idée à la.... enfin... l'idée saugrenue d'y faire participer une sourde-muette qui, précisément, ne savait pas chanter. Sans doute espérait-il que la première place serait attribuée, comme à l'eurovision, au plus idéologisé des participants plutôt qu'au plus talentueux.


Mais il est vrai que Nishimiya donne envie de s'acharner sur elle. En tant que personnage de fiction j'entends. N'allez pas ajouter à mon lourd casier une quelconque haine des handicapés. Car sachez que ma haine est universelle. Personne n'en est exclu et tous sont logés à la même enseigne par mon dédain coutumier. C'est par ce biais en tout cas que j'exprime mon idée de la tolérance.
Mais il n'y a pas de tolérance à avoir pour Nishimiya. Elle est cet archétype pitoyable du personnage pur, innocent, virginal, portant tous les malheurs du monde avec un sourire timide et qui, en toutes circonstances, se montre prompte à distribuer les pardons avec plus d'assiduité que le Christ lui-même. Alors avec un tel personnage, on ne suggère pas le pathos chez le lecteur, on le lui intime de force.


Pour ses modestes méfaits en primaire, Ishida deviendra le paria ultime pendant cinq ans. On a la rancune sévère par chez lui. Comme s'il était possible de ne plus se sociabiliser à cet âge. On sait en plus qu'il avait un métier, donc, des relations sociales. Enfin.. rien ne tient debout, mais la mise en scène veut nous faire croire à l'improbable, donc, encore une fois, nous sommes tenus de lui complaire et d'accepter passivement ses balivernes largement trop forcées pour être seulement crédibles un instant.
En revanche, le rapport à l'amitié n'est - pour une fois - pas trop galvaudé comme cela est pourtant trop souvent le cas ailleurs. La relation avec Nagatsuka est une bonne addition à l'œuvre.


Finalement, ce n'est pas tant un manga sur le handicap que sur l'ostracisation, le pardon et la réparation des erreurs de jeunesse avec du vernis un peu cul-cul la praline mais pas trop et de la romance en toile de fond. En toute honnêteté, malgré mon aversion naturelle pour tout ce qui a trait à la nature de ce que j'ai lu ici, je me dois d'admettre que cela reste largement supportable dans les grandes lignes.


Mais cela ne signifie pas pour autant que ce qu'on y lira sera acceptable sans ne jamais être une insulte à l'intelligence humaine. Incongruité de l'improbabilité absolue, Ishida tombe sur Sahara par hasard dans le tram pile quand il la cherchait après des années sans s'être vus, même schéma avec Ueno quelques chapitres plus tard. La narration, quand elle sert son auteur plutôt que son œuvre, n'est décidément pas chose subtile. Elle est même lamentable dans son essence.


Bien sûr, tout ce foutoir émotionnel finit par tourner à la romance stricte et ma modeste - voire inexistante - appétence pour la chose m'incline naturellement à en vomir le long contenu qui se sera déversé passé le premier tiers de l'œuvre.
On y retrouvera des similarités probantes avec Bonne nuit Punpun ; les visages barrés d'une croix qui rappellent la censure des visages des protagonistes derrière des traits enfantins, le fait qu'il s'agisse d'une histoire centrée autour d'un amour de prime jeunesse qui continue les années durant avec ses déboires, le héros en clin à constamment s'apitoyer sur son sort. On dirait que le manga se veut un Bonne Nuit Punpun positif... soit une disgrâce.


On finit malgré tout par se sentir concernés par les personnages qui sont néanmoins, pour la plupart, assez agaçants par leurs monomanies respectives. Ce qui s'ensuivra ne sera que le ventre mou du manga avec les histoires d'amitié, d'amours cachés, de blessures secrètes et d'âneries du même tonneau. C'est une femme qui écrit pour des femmes, que voulez-vous.


La bête cruauté d'Ishida lorsqu'il était enfant trouvera encore moyen d'être surclassée par la famille paternelle de Nishimiya qui, au prétexte de la surdité de leur petite-fille, décidront que leur fils doit divorcer et laisser la mère élever seule ses enfants. Et dire qu'on tient encore la famille Ténardier comme détentrice du record mondial en terme d'abjections. Y'a là de quoi relativiser. Et aussi de quoi mépriser un peu plus l'auteur pour forcer encore une fois le trait démesurément sur la méchanceté fantasmée de ses protagonistes. Quand on veut faire du réaliste, la moindre des choses est encore d'avoir les pieds dans le réel. Qui, sérieusement, divorce d'avec sa femme parce que l'enfant qu'elle a mis au monde est sourd ? Qui ? Je ne suis même pas sûr que cela se faisait à Sparte. Quel ramassis de foutaises, vraiment. Il n'y a rien de tel pour se discréditer en tant qu'auteur que d'exagérer à ce point la bonté et la méchanceté de ses personnages.


A Silent Voice se décompose en deux phases. Trois si on sépare l'enfance de l'adolescence. La dernière partie du manga tourne autour de la réalisation d'un film étudiant avec sont lot de tracasseries environnantes et les occasions - innombrables - de multiplier les niaiseries ainsi que de développer - sommairement - les personnages secondaires.
Puis ça crie, puis ça chiale et cela à répétition. Un cycle de jérémiades larmoyantes qui aurait pu s'interrompre si quelqu'un, à un instant donné, avait distribué les claques à qui de droit et au bon moment. Tout ce qui a trait au drame dans la condition psychologique des personnages, en plus d'être bénin, est monté artificiellement pour que les tourments adolescents ne continuent ad nauseam. Si l'auteur n'avait pas forcé cette dynamique et s'était contentée de l'essentiel, le manga aurait comporté moitié moins de volumes. La brouille puérile entre Ishida et le reste du groupe après que ces derniers n'aient découvert qu'il était une petite brute dans son enfance - la belle affaire - n'a été placée sur le parcours du récit que pour que ce dernier n'ait des raisons objectives de continuer à cheminer après s'être trouvé rapidement en bout de course. On rajoute de la catastrophe au drame avec la tentative de suicide injustifiée d'un personnage. Le manga n'est alors plus qu'une machinerie à drame sans histoire autour qui se clôturera avec une fin sans conviction, à la fois ouverte et fermée.


Le manga est ici un Real qui se sera loupé sur tous les plans et à qui on aura crevé les roues du fauteuil. Il n'y a d'ailleurs rien de réel dans A Silent Voice qui, pourtant, cherche à se doter d'une trame réaliste et touchante. Le superficiel imprègne chaque page malgré la teneur du sujet abordé qui, pourtant, pourrait très largement s'en passer. C'est tiède et, une fois analysé à froid, finit par vous chauffer la bile.
Une bonne intention ne saurait en rien expliquer le déballage, quelque part obscène, que Yoshitoki Oima aura opéré sous nos yeux. Les bons sentiments, l'Enfer en est pavé. À ce titre, A Silent Voice se veut une avenue de Pandemonium à lui seul.

Josselin-B
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le 14 déc. 2020

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Josselin Bigaut

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