Mmh l'odeur du vieux papier... et les crottes de nez des précédents détenteurs du livre.
J'ai découvert cette bande dessinée par harsard à "La bourse aux livres" de Tournai ; c'était pas cher, ç'avait l'air d'être un vieux machin, ça sentait le vieux papier, c'était un bel objet. L'album reprend les deux premières histoires d'Abbie an' Slats parues en 1937 : Un Nommé Aubrey Eustace et Becky Entre En Scène.
J'aime bien le ton. L'histoire est parue au strip par strip, la narration est donc étrange puisqu'il faut, en 3 ou 4 cases, reprendre le schéma situation de départ-péripétie-situation finale et par la même occasion amorcer le strip suivant (un cliffhanger). C'est écrit assez adroitement pour qu'une fois tout relié ça ne paraisse pas trop... énorme comme histoire. Un peu comme Tintin où Hergé exagérait souvent les situations dans ses premiers albums et où les Dei Ex Machinae pleuvaient tel un rideau. Non, ici ça reste fluide, et le scénariste arrive à doser les mini péripéties internes à chaque strip par rapport aux péripéties plus générales de l'histoire. Notons toutefois que le second album, même s'il est globalement bien écrit, n'évite pas deux résolutions faciles (le procès qui tourne un peu au n'importe quoi ; la récompense un peu bidon qui vient sauver le héros - quoique ce dernier passe inaperçu vu le cliffhanger de fin). Mais ce n'est pas trop grave. Le récit ne tourne pas autour d'une intrigue bien ficelée mais plutôt dans la relation entre personnages. Puis l'absurde trouve assez vite sa place dans le récit, tout comme le drame et la comédie slapstick. Le récit est vraiment complet et riche.
Le dessin est assez grandiose, s'affinant au fil des strips. Il y a énormément de détails réalistes, tout en conservant un certain ton caricatural dans certains visages. De même, à côté de certains bolides fidèlement représentés, l'auteur s'amuse à placer vulgairement des lignes de vitesses dignes d'un cartoon. Le découpage est très contemporain, l'auteur jongle vraiment entre les plans d'ensemble et les gros plans; de même les points de vue/angles de caméra sont judicieux et bien pensés. La gestion des noirs et blancs est de plus en plus adéquates aussi; par exemple les scènes de nuit sont traîtées comme de jour au début (juste le ciel qui est noir) tandis que les dernières montrent des jeux d'ombres intéressants.
Cet album est donc un intelligent mélange de genres variés, tant du point de vue scénaristique que graphique, et qui pourtant fonctionne très bien. Si l'occasion se présente, je vous recommande d'acheter ce livre qui en plus ne sacrifie pas la qualité du strip au profit de la quantité de pages (c'est à dire que le format italien est conservé à raison de deux strips par page).