Ne tournons pas autour du pot, Ajin ne cherche même pas à dissimuler ses accointances évidentes avec Tokyo Ghoul : accident initiatique du personnage principal, le principe des goules déporté vers les Ajins alors que le personnage principal devient l'un d'eux, la discrimination déshumanisante qui s'ensuit, la traque par un duo d'agents, les Ajins partagés en deux communautés (les hostiles et ceux voulant vivre en bonne intelligence avec les humains), se faire passer pour humain, la capture de Kei accompagnée de sa torture qui le changeront, les combats inintéressants bien que soignés et le tuti quanti. Même les dessins présenteront des caractéristiques communes avec ceux de Ishida Sui.... il y a plus qu'une simple proximité entre les deux œuvres. BEAUCOUP plus. On peut encore voir la trace du calque.


À m'en tenir aux tout premiers chapitres uniquement, j'en étais venu à déterminer que les dessins étaient très inégaux. En trois chapitres à peine, la pointe du crayon de Gamon Sakurai s'aiguisera jusqu'à révéler un potentiel graphique détaillé, parfois brut et mature. Sans être la panacée universelle, le rendu est plutôt agréable au regard. Il n'empêchera que la proximité avec les dessins de Tokyo Ghoul nous paraîtra plus évidente les chapitres se succédant bien que certaines planches ne manqueront pas parfois de rappeler - en moins bien abouti - le crayonné d'un certain d'Akio Tanaka. Autant dire du sérieux.


Le principe d'immortalité des Ajin nous aura fait renouer un instant avec ce que l'Habitant de l'Infini avait à offrir sur ce plan. Cette fois en revanche, Gamon Sakurai n'aura pas insisté sur cet emprunt. Il en résulte que le traitement de l'immortalité dans Ajin n'est pas plus approfondi que cela ; on en retiendra surtout la propension des principaux concernés à survivre à tout et rien d'autre. Chaque assaut mené par l'un d'eux est la ré-adaptation de la scène du commissariat dans le premier Terminator. Difficile de s'en contenter si - en plus de ne pas avoir la primeur de ce genre de scènes - l'auteur n'a rien de plus à offrir.


Et c'est là le nœud gordien de la problématique Ajin, le manga aura avant tout été construit par les emprunts effectués par son auteur. Des emprunts visibles bien qu'habiles, sachant tirer le meilleur parti de ce dans quoi il aura pioché... des emprunts néanmoins. Il est malaisé de faire la critique d'un manga dont on a la sensation d'avoir déjà tout lu à ce jour. Si peu de choses distinguent Ajin de Tokyo Ghoul, c'est se leurrer que de prétendre le contraire.
Pour autant, je ne me sens pas de crier au plagiat. Tout m'y enjoins pourtant et personne ne pourrait m'en faire le procès si je m'y abaissais. Cependant, bien que je nie une quelconque identité propre à Ajin qui n'est plus qu'un assemblage de diverses choses grappillées ici et là dans des œuvres analogues... c'est un patchwork plutôt méritoire que j'observe alors. D'autres - en recourant aux mêmes méthodes - seraient au mieux parvenus à faire de leur œuvre un pot-pourri cherchant à cumuler tout ce qui plaît aux lecteurs en tendance afin d'aboutir à la plus répugnante synthèse de ce qui se fait de «mieux» dans le genre. Je ne retire pas le même sentiment de ma lecture d'Ajin. Les emprunts sont flagrants mais pas honteux. L'auteur n'aura pas créé grand chose, mais il aura tiré les meilleurs morceaux de ce dont il se sera lourdement inspiré.


Peut-être qu'au fond, Ajin n'est qu'un hommage. Un hommage certes trop appuyé à l'endroit de ce dont il s'inspire, mais un hommage tout de même. À dire vrai, Gamon Sakurai me paraît avoir entrepris une démarche vertueuse en agissant comme il l'a fait. De Tokyo Ghoul, il n'en aura au final retiré que le meilleur pour broder à sa sauce derrière, comme pour corriger les maladresses d'un Ishida Sui qui, lui, se sera embarqué dans le délire coutumier de la démesure quasi-shônenesque (pas si quasi que ça d'ailleurs), gâtant ainsi une œuvre aux débuts prometteurs. Ajin a repris ces débuts... et un peu du milieu aussi, mais il aura surtout poursuivi la course de l'intrigue vers quelques pistes plus reluisantes. Ajin est en un sens cherché à grandir Tokyo Ghoul en se présentant comme son héritier putatif incontestable. Force est de constater qu'il aura finalement accompli un meilleur travail. Pas mirifique pour autant ; simplement meilleur.
Cette propension à l'hommage me sera en tout cas apparue plus évidente alors que l'auteur rapportait la marque de cigarettes Wild Seven tirée de Battle Royale. Je reste persuadé d'avoir manqué d'autres références, Ajin n'étant apparemment fait que de ça.


Néanmoins, à s'attarder sur le scénario et son déroulé, on n'en retire pas non plus grand chose de convainquant. L'auteur aura beau creuser pour approfondir un peu le fil du récit, l'intrigue de gagnera pas en épaisseur pour autant. Cette intrigue se voudra au final un combat entre des méchants aux motivations franchement légères et des gentils dont la gestion de la crise Ajin frôle purement et simplement la plus stricte impéritie d'un gouvernement français. Un regard avisé au service d'un esprit critique qui ne l'est pas moins vous en convaincra ; la menace Ajin est autrement moindre que celle des goules en ce sens où eux n'ont pas besoin de se nourrir d'humains pour subsister.
Mille détours et le double de prétextes ne suffisent simplement pas à expliquer rationnellement l'aggravation des hostilités entre les belligérants. Une approche autrement plus diplomatique entre les deux parties auraient largement pu se concevoir alors qu'ici tout le monde s'entre-tue pour la finalité de verser le sang.


La personnalité de Nagai m'aura troublé. Elle paraît véritablement changer du tout au tout lorsqu'on le retrouve à vivre chez la vieille dame. Il devient un petit salopiaud arrogant et sûr de lui que rien ne le prédisposait à devenir. Car il en était vraiment loin de cette psyché et rien ne justifiait une transformation aussi radicale de sa personnalité en si peu de temps. De son lui d'avant, il ne reste absolument rien ; c'est un nouveau personnage à part entière qui se délivre à nous. Un caprice de l'auteur qui voulait visiblement tirer un autre parti de lui et trop pressé de le faire pour accepter qu'il n'évolua progressivement vers ce qu'il est alors.


Alors que je réalisais que j'appréciais particulièrement Satou - l'antagoniste principal - malgré l'inanité de ses motivations, je considérais soudain qu'il ne m'apparaissait pas tant génial que le reste des personnages me semblait antipathique à bien des degrés. Non pas qu'ils fussent nécessairement mal écrits bien que réduits à la portion congrue attendue de protagonistes d'un Seinen de cet ordre, ils semblaient toutefois absents en étant pourtant là. La mise en scène n'accomplit aucun effort véritable pour faire ressortir le moindre personnage de son intrigue - exception faite de Satou.
Gamon Sakurai a considérablement réduit l'implication du plus grand nombre dans son intrigue et le développement de son histoire. Ces personnages sont presque les spectateurs de leur propre intrigue alors que bien peu parmi eux ont un rôle crucial à jouer.


J'aurais apprécié toutefois que le personnage principal ne soit pas sans cesse mis sur le devant de la scène malgré ses pouvoirs. En revanche, j'aurais en contrepartie déploré le fait qu'aucun autre personnage ne sorte véritablement du rang pour combler le vide manquant. Aucune figure marquante ne tirera son épingle du jeu, fusse-t-il un personnage principal ou secondaire. Satou fait le café, mais à trop le voir faire la même chose, on se lasse.


Les massacres à répétition nous amènent naturellement à penser qu'un bête gaz soporifique ou le juste emploi de l'électricité auraient fait l'affaire la plupart du temps dès lors où il fut question de contrecarrer la menace Ajin. Mais l'auteur avait vraisemblablement envie de se faire plaisir à verser le sang sans trop de bonnes raisons. Ce que le récit gagna en brutalité, il le perdit en crédibilité. Si nous devions faire face à une espèce immortelle, la priorité ne serait pas tant d'essayer de la tuer mais plutôt de restreindre ses actions afin de la capturer. Il aura tout de même fallu attendre quarante-sept chapitres d'ici à ce que la première seringue anesthésiante ne soit enfin tirée.
Cette gestion de la crise Ajin par les autorités compétentes - de nom - m'aura rappelé une anecdote liée à la guerre froide. Quand les américains remarquèrent qu'on ne pouvait pas utiliser de stylo dans l'espace dans le cadre de la conquête spatiale, leurs scientifiques travaillèrent d'arrache-pied à la confection d'un stylo spécial permettant d'écrire malgré l'apesanteur. Son coût revenait à un million de dollars. Les soviétiques, eux... optèrent pour un crayon de papier. À l'aune de cette histoire, on rigole à force de voir les Ajin criblés de balles alors qu'on se dit qu'un bête filet lesté aurait suffi à prévenir leur menace.


Mais bien évidemment, les stands.... pardon, les I.B.M, suffisent à justifier l'incapacité des êtres humains à lutter convenablement contre les Ajin puisque ceux-ci ne peuvent même pas être bloqués dans leur avancée grâce à ce pouvoir absurde. Là est la seule manière pour l'auteur de s'assurer - en toute cohérence - que seuls les Ajins pourront contrecarrer d'autres Ajins. À quoi bon inclure des humains dans le récit à ce titre ? Ceux-là n'auront pas été d'un grand secours à l'avancée du scénario, on s'en rend compte alors que la lecture nous rapproche inéluctablement de la fin de son histoire.


Car elle approche cette fin. D'ici quelques mois à peine, on peut d'ores et déjà deviner que la parution d'Ajin se sera soldée par une conclusion bienheureuse puisque tout prédispose à pareille résolution. Cette fin qui approche, on la devine d'abord aux explications tardives de l'origine des Ajins (l'orajin ?) lâchées comme un exposé foireux d'école primaire : «Bah euh... y'a eu le Big Bang, de là... l'énergie créé la matière et donc.... Ajin. Ça va comme explication ?».
Révéler un mystère quand ce dernier n'a visiblement pas été pensé en premier lieu, c'est prêter le flanc à la déception.


Ajin continue de paraître mais est déjà terminé en ce sens où nous savons vers quel horizon il dérive. Ce n'est pas fini mais tout va se résoudre ; tout est écrit malgré les innombrables détours entrepris par l'auteur afin que sa composition paraisse plus compliquée qu'elle ne l'est en vérité. L'équation reste simplissime au demeurant : un gentil, un méchant, une castagne, tout ce qui aura entouré cet antagonisme larvé n'aura été que littérature. Piètre littérature.

Josselin-B
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le 1 août 2020

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Josselin Bigaut

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