Dans l'univers de la bande dessinée, l'Italie est représentée, depuis des années, par de nombreux auteurs . Certains noms nous viennent rapidement en tête, que ce soient les "historiques" (Hugo Pratt et Milo Manara) ou bien ceux qui cartonnent actuellement (Alessandro Barbucci et Theo). Et puis il y a ceux ,bourrés de talents, à qui l'on ne souhaite qu'une seule chose : la renommée. Le dessinateur Luigi Critone en fait partie. Celui qui adapta le roman de Jean Teulé, Je, François Villon en trois tomes parus aux Editions Delcourt, signe avec son compatriote Gipi, un excellent one shot de 200 pages, Aldobrando.
Enfant, Aldobrando est confié par son père, le roi, à un sorcier vivant seul dans la forêt. Aldobrando grandit ainsi, coupé du reste du monde, jusqu'au jour où, jeune adulte, il est contraint de quitter la rassurante chaumière de son maître qui, blessé par une vilaine griffure de chat, le missionne de lui rapporter l'herbe du loup. Commence alors un voyage initiatique pour le candide Aldobrando qui, ignorant son lignage, va se heurter à une société médiévale particulièrement violente.
Aldobrando est à la base un simple personnage d'un jeu de société créé par Gipi. L'auteur écrit et commence à dessiner quelques planches sur ce personnage avant de demander à son compatriote Critone de se lancer à ses côtés dans ce projet. Gipi écrivit le scénario sans découpage et Critone se charga du story-board puis du dessin. Les deux auteurs mirent trois ans à finaliser leur projet.
Parmi les grandes qualités graphiques du dessinateur, la maîtrise du lavis est sans doute la plus impressionnante. Les magnifiques couleurs, notamment tout le travail fait autour de cette ambiance ocre/orangée, sont réalisées par deux jeunes coloristes italiens, Claudia Palescandolo et Francesco Daniele. Il existe une version luxe d'Aldobrando en dos toilé dans un format plus grand sans les couleurs. Mais malheureusement l'éditeur, Casterman, n'a pas directement fait imprimer les superbes planches en lavis de Critone, mais a utilisé la version couleur en la passant en noir et blanc à l'impression. Une histoire de coût…
Il est plaisant dans ce récit, d'avoir une action centrée sur quelques lieux qui occupent beaucoup de pages. Le cachot, la chambre de la princesse, la petite clairière et bien évidement la Fosse deviennent ainsi autant de scènes, d'espaces délimités, où peuvent s'exprimer ce qui fait la grande force de l'œuvre, les personnages. Car ce sont ces personnages, aux traits expressifs, caricaturaux, qui donnent toute la puissance graphique et scénaristique de l'histoire. Aldobrando est frêle avec des "pattes de merle" en guise de bras, Gennaro est laid comme un pou, la princesse Bianca est aussi belle que délicate, dont la légère esquisse des traits tranche nettement avec la brutalité de ceux des autres protagonistes, sans oublier les autres personnages qui tous, à leur manière, sont le fruit d'une grande créativité.
Ce roman graphique est une vraie réussite. Cette fable médiéval est la très belle expression d'une collaboration réussie. L'envie de s'attarder sur presque chaque page saisit le lecteur, d'accompagner Aldobrando dans la découverte de cette grande aventure qu'est la vie, même si celle-ci peut se révéler être une effroyable farce.
A noter que l'on entendra beaucoup parler de Critone d'ici la fin de l'année car ce dernier va prendre le relais d'Enrico Marini pour la suite de la série Le Scorpion.