Même si je ne suis pas fan des dessins assez naïfs, il faut reconnaître que certaines pages, notamment celles sur la collusion entre les différentes industries et les médias, sont plutôt ingénieuses, avec un petit Jean-Yves Le Drian tout vert comme fil rouge. Et la narration reste fluide, même si les besoins de l'enquête font proliférer les notes de bas de page et les astérisques. Cela dit, il faut un certain culot artistique pour s'attaquer à un sujet aussi technique que celui de la corruption administrative et politique, car l'honnêteté et la prudence obligent à sourcer chaque information, ce qui alourdit considérablement la mise en page. Le dessinateur a été plutôt rusé, certaines fois, mais le texte a également souvent mangé le dessin. L'un dans l'autre, l'intérêt de l'ouvrage n'a pas été escamoté et on assiste, une fois de plus, à une démonstration consternante, à la Marie-Monique Robin : les pouvoir publics se montrent trop souvent défaillants face à la force de frappe de l'industrie ou aux intérêts du tourisme, et les personnes en charge de responsabilités collectives bien trop fragiles face à la tentation de l'enrichissement indu. Dans le cas de la contamination des eaux bretonnes aux nitrates, bien des responsabilités sont ainsi mises au jour; l'enquête prend le risque de sortir des noms : ministres, hommes d'affaires, scientifiques, hauts fonctionnaires, ils sont tous de mèche, avec plus ou moins de bonne conscience, pour au mieux ne rien faire, au pire carrément camoufler les faits les plus graves. Derrière eux, ce sont des intérêts commerciaux qui tirent les ficelles. En-dessous, les citoyens qui trinquent, en mettant leur santé en péril mais aussi en finançant eux-mêmes les pratiques qui leur nuisent. Il y a vraiment quelque chose de pourri au royaume de l'arnaque et cet ouvrage est de salut public. Des années ont passé, des décennies parfois, et les connivences toxiques sont toujours en place, et des agriculteurs continuent à se suicider, ici comme en Inde, et les politiques continuent leurs carrières lucratives et nocives. Ceci dit, nous sommes de plus en plus au fait de leur véritable nature, et ça, je gage que c'est l'une des conditions indispensables au changement. Citoyens, à vos livres !