Alice in Borderland
7.7
Alice in Borderland

Manga de Haro Asō (2013)

La note, initialement, était conditionnée par mon absolue déception alors qu'on m'avait, à maintes reprises, présenté Alice in Borderland comme un héritier présomptif de Kaiji. Au moins dans un registre Shônen. J'y ai cru. La faute m'incombe, et, étant d'une mauvaise foi proverbiale, j'accuserai l'œuvre pour mieux me défausser de mes manquements.

En amoureux éconduit, la rancœur m'a ainsi rongé les tripes jusqu'à ce que le mal s'étende au bout des doigts avec lesquels je rédigeais cette critique. Mais, à bien y réfléchir, ma note aurait été sensiblement la même si je n'avais rien attendu d'Alice in Borderland. Son relatif salut, cependant, le manga ne le doit qu'à six chapitres.

Arisu me rappelle Kei Kurono, personnage principal de Gantz. Élève commun et même médiocre, libidineux et méprisable à certains égards, frappé d'un complexe d'infériorité (le tout aidé par un petit frère brillant pour mieux accentuer le contraste) qui, présenté à un contexte horrifique, s'y épanouit comme s'il rencontrait pour la première fois son environnement naturel. Une thématique qui m'est chère ; certains hommes sont inadaptés aux terribles conséquences sociales de la paix. Et ce genre de personnage, je ne peux que m'y référer, ce qui, nécessairement, facilite l'empathie. Que ceux qui, comme lui, comme moi - et comme tant d'autres - estiment que la perspective du scénario d'Apocalypse Zombie est préférable à une petite vie socialement normée comprendront.

Les dessins, au départ, sont assez effacés, aussi bien au sens propre que figuré. On retrouve une légèreté littérale dans le trait qui aurait vite fait d'être confondu avec de la hâtise dans le crayonné. Non, décidément, le dessin n'a rien de grandiose, ni même de marquant ou de franchement personnel. Certaines proportions dans les faciès sont mal respectées et la plupart des plans et des angles adoptés sur le plan de la scénographie semblent l'avoir été pour faciliter le travail du dessin de l'auteur. Il y a même des proximités avec Dream Land, toutes proportions gardées.

Non, décidément, ça n'est pas terrible. Le dessin est clairement accepté par son auteur comme un prétexte à l'intrigue, un support bancal pour agrémenter les mots qui figurent dans les bulles, rien de plus. Et puis, ça s'affine par instants, avec des faciès très élaborés pareils même à ceux qu'on retrouve dans des Seinens d'exception. Ça nous parvient sans prévenir, comme une étoile filante et ça reste. Le dessin passe de répulsif à une patte graphique de Seinen acceptable en quelques volumes à peine.

La nonchalance des protagonistes suite à ce qui apparaît comme la disparition pure et simple de la civilisation nous amène à penser que les sentiments des personnages ne seront abordés que superficiellement. Le syndrome Peter Pan a bon dos, même un reclus atteint du dernier stade de misanthropie éprouverait instinctivement de la panique à voir l'humanité disparaître sans explication. Cela, avant d'éprouver une certaine sensation de béatitude...

La proximité avec Gantz se poursuit avec les modalités du jeu macabre. Les personnages, choisis comme les joueurs, y risquent leur vie tout en étant toujours dans le monde réel et sans cesse approvisionnés avec de nouveaux joueurs. Quoi qu'il en soit, cette incursion dans le Borderland est mal amenée, baclée même.

La première épreuve n'a rien d'astucieuse. Un jet de dé aurait eu autant de pertinence pour résoudre l'issue que la solution leur étant tombée du ciel. Mais, je gardais encore espoir à ce moment-là. Je savais que, même si la première impression est cruciale, une hirondelle, nécessairement, ne fait pas le printemps. La première épreuve de Liar Game m'avait laissé dubitatif en d'autres temps, la suite acheva de me convaincre.

Toutefois, à ce stade, des doutes, je n'en avais pas tellement : c'était mauvais.

Il n'y a finalement aucune tactique dans ces jeux. Nous sommes à des galaxies de Liar Game ; et je vous parle de galaxies situées dans un univers parallèle inaccessible. Il n'y a qu'une pâle illusion de la tactique alors que les personnages palabrent sur les règles pour ne finalement rien accomplir de spécial

Et puis... il y a eu cette troisième épreuve. C'était couillu. Inattendu. Très sincèrement, je n'aurais osé y penser, mes respects monsieur Hasô. Souhaitons qu'un jour d'autres auteurs de Shônens - car c'en est un - puissent faire montre du même courage scénaristique. Il n'y a pas lieu de s'étendre sur la nature de sa bravoure ni sur la manière dont celle-ci se sera matérialisée, je me contenterai simplement d'applaudir pour mieux encourager le lecteur de cette critique à y jeter un œil. Là encore, la comparaison avec Gantz est à propos puisque la troisième épreuve du manga avait-elle aussi su s'illustrer dans les mêmes termes.

L'efficacité des manipulations opérées par les personnages ne sont finalement indexées que sur le bon vouloir de l'intrigue. Il n'y aucune réelle coercition, la réflexion ne fait preuve d'aucune intelligence réelle bien qu'elle mime le fait intellectuel en se laissant gentiment porter par une intrigue décidément bien clémente à son endroit.

Et d'intelligence, finalement, il n'en est que très rarement question. La psychologie n'est là qu'en garniture ; et si fade. Tout ou presque se règle physiquement et par les armes. Ce qui s'était piqué d'être un Shônen atypique - ce qu'aurait pu devenir l'œuvre au demeurant - est finalement un Shônen brutal mais mijaurée qui ne s'assume pas même à moitié d'être ce qu'il est. C'est certes plus violent qu'un Nekketsu coutumier - et encore - mais ça n'est pas franchement élaboré pour autant. Les personnages y sont aussi insipides et stéréotypés qu'ailleurs. Le ratio d'antagoniste est plus élevé qu'à son habitude du fait du contexte, voilà pour la nuance.

La réflexion, monsieur Asô, ça n'est pas l'affaire de causeries. Car si ce n'est palabrer sur des évidences, des thématiques hors sujet, et répéter ce que l'on sait déjà, les réflexions sont ici laissées à la portion congrue pour ne pas dire absente. Heureusement pour les protagonistes, quand tout se règle à l'arme à feu, la réflexion, on s'en passe.

En ces lieux, Achille fait de l'ombre à Ulysse ; et je vous parle d'une version d'Achille dont les chromosomes sont particulièrement déficients.

On fait mine d'élaborer des stratégies pour au final céder à la tactique du rentre dedans, la seule qui vaille apparemment. À quoi bon se masturber le ciboulot des heures durant si c'est pour aboutir à quelque chose d'aussi décevant ?

L'affaire de la chasse aux sorcières est pareille à un Cluedo format Cotorep. On y retrouve de tout, sauf de l'enquête. Et la résolution ? Elle n'a strictement rien à voir avec le cadre de l'enquête en premier lieu avec une piste externe sortie des fagots.
Et dire qu'on m'avait présenté ça comme du Kaiji. Il faut en avoir du culot et du mauvais goût pour seulement oser la comparaison.

Je vous fais grâce du torrent de larmes dans lequel on patauge à longueur de chapitres. J'entends bien que le contexte y prédispose... mais trop point n'en faut.

Il n'y a vraiment aucun enjeu, aucune raison à ces jeux. Si au moins il étaient intéressants, on pourrait au moins se détourner du «pourquoi» de leur existence, mais il n'y a même pas ça à se mettre sous le dents pour nous sustenter. Et quand explication il y aura, ce ne sera que bien trop tard.

Le jeu d'osmose présentait toutefois quelques qualités stratégiques. Assez pour occasionner des retournements de situation bienvenu, mais, là encore, on se sera reposé quasi-exclusivement sur les prouesses physiques et de l'astuce à pas cher pour solder l'affaire.

L'épreuve du J, en revanche, était si délectable qu'elle paraissait provenir d'un autre titre. Et ce, bien qu'il faille se tenir très fermement à la suspension de crédibilité pour que l'affaire fonctionne. Car après tout, je ne m'explique pas pourquoi les vingt joueurs n'ont pas tous coopéré d'emblée afin de pouvoir déterminer si le signe de leur collier était le bon. Ne faire confiance qu'à une seule personne, compte tenu de l'enjeu et des règles de l'épreuve, est autrement plus hasardeux que de recueillir plusieurs avis à la fois.

Toutefois, le groupe qui s'est formé a émulé cela avec les failles que comportait la stratégie. J'étais particulièrement satisfait de cette épreuve qui a réhaussé - et de beaucoup - le niveau du manga pour le mettre à la place que je pensais lui attribuer. Le fait que les protagonistes soient absents du jeu a beaucoup joué à rendre ce dernier plus intéressant.
Tout était admirablement pensé, la variété des personnages - vraiment attachants ceux-ci - les questions qui se rapportent à la confiance, à la méfiance et, pour une fois, des manipulations crédibles. On aurait aimé que Alice in Borderland ne soit fait que de ça. La lecture vaut le coup pour cette épreuve uniquement.

La suite, on s'en détourne très volontiers. Un mercenaire à tuer. Pan Pan. Bla Bla. Ouin Ouin. Je connais la musique, elle me fait regretter de ne pas être sourd.

Car, sur la fin on part sur une intrigue d'explication de l'origine des Borderlands. La souhaitait-on tellement ? Qui pour s'en soucier à ce stade ? Et c'est là qu'on retrouve la proximité avec Gantz alors que la chute maladroite s'orchestre dans des mouvements parfaitement synchrones. «En fait, ceci est advenu parce que cela» ergote-t-on pour justifier ce dont tout le monde se fout. L'auteur en aurait-il fait mention dès le premier chapitre que cela n'aurait rien changé. Le procédé eut même été plus méritoire en nous privant ainsi de la sempiterlle révélation de fin sans enjeu ni intérêt.

Ça finit en Battle Royale petits bras au beau milieu d'un trip hallucinogène durant une partie de croquet, elle aussi sans enjeu. Quelle remarquable épreuve que celle-ci. Et la résolution qui en résulte trouve encore le moyen d'être pire. Arisu revient dans le monde réel, il nous énonce une platitude à l'envolée... et fin.

Tu veux nous admonester d'un message profond mon garçon ? Commence déjà par articuler, parce que c'était franchement inaudible.

Le manga ne vaut la peine d'être lu que du chaître 44 à 49. Sans lui, Alice in Borderland aurait écolé d'un joli zéro pointé.

Dire que je me faisais un plaisir de pouvoir éventuellement compter ce manga parmi mes shônens favoris, que je me le gardais même précisément sous le coude depuis des années afin de mieux le savourer. Ah la piquette ! Je m'en souviendrai.

Josselin-B
3
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le 15 juin 2022

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Josselin Bigaut

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