Certains lecteurs parlent de pur cauchemar à propos d’Alinoë, qui en tout état de cause déploie la brièveté puissante et sommaire d’un mauvais rêve. On comprend que des enfants, dans les années 1980, ont pu y laisser quelques heures de sommeil.
Notre héros parti en quête « de farine et de vêtements chauds » (!), l’épisode plonge dans le fantastique au sens où l’entendait Todorov. Sans doute s’agit-il du plus tendu des Thorgal : assez peu de dialogues, un scénario aussi simple qu’impeccable – une femme et son enfant sur une île déserte, une chevelure verte, – et c’est parti.
En soi, ça pourrait sentir la recette : un huis clos, un personnage qui matérialise ses fantasmes, un phénomène de possession / prolifération… Mais il faut reconnaître que si la série des Thorgal n’est pas toujours exempte de niaiserie – « Mon aimée », « Mon amour », tout ça… –, Alinoë refuse l’image d’une enfance innocente et pure qui apporterait quiétude ou rédemption. (Et tout cela peut faire penser au Village des damnés.) Déjà, dans la Chute de Brek Zarith, Jolan présentait quelque chose d’inquiétant…


Mais c’est graphiquement que l’album sort du lot : trait, couleurs, cadrages, composition – tout. La case 6 de la planche 9 est un bijou. Elle adopte le point de vue d’Aaricia : en plan rapproché et en légère plongée, Jolan joufflu et un brin anxieux y dévoile la présence d’un autre garçon sur l’île. Réponse de la mère, dans un phylactère venu d’en-dehors du cadre : « ?!? ». Colorié en violet.
Un violet qui complète le blond très clair des cheveux, le vert sombre du vêtement. Techniquement, ça n’a rien d’une prouesse, bien entendu. Artistiquement c’est parfait : le malaise commence déjà à croître, le surnaturel éclot, le jeu sur les couleurs qui traverse tout l’album se développe – du jaune, du blanc et du vert, avec çà et là quelques touches de rouge pour rehausser certaines planches. C’est le genre de détails que pouvait imaginer Rosinski, et hors de portée d’un tâcheron lambda de la bande dessinée assistée par ordinateur – qui a dit « Surzhenko » ?

Alcofribas
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le 13 juin 2020

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