Résumer plusieurs milliards d'années en 350 pages n'est peut être pas la performance la plus remarquable que l'on puisse porter au crédit de Jens Harder - Après tout, c'est sans doute la conséquence logique d'une application rigoureuse et maîtrisée des procédés elliptiques propres à la bande-dessinée.
L'auteur en tire toutes les ficelles avec brio, et compose un montage sélectif particulièrement efficace qui tisse une narration dense mais toujours fluide sur la trame sans fond des origines de l'univers. Le Récit des récit en quelque sorte, l'histoire qui contient toutes les autres, car comme l'a suggéré Borges et ses paires, la science-fiction (Pour ne pas dire la fiction) est un sous genre de la cosmogonie, elle-même mère de la cosmologie.
Pour conter cette histoire trop vaste, Harder prend le parti des images et de leurs capacités à laisser ouverts les champs de l'interprétation, et ménage des rapports analogiques entre des cases où peuvent voisiner représentations mythiques et descriptions scientifiques.
L'un n'exclue pas l'autre, leur addition ne fait qu'aiguiser notre compréhension de phénomènes normalement hors de la portée de notre esprit. Nous les appréhendons avec une acuité croissante lorsque nous nous dressons sur les épaules de ces géants chers à Salisbury, Newton et Pascal: Qu'ils soient poètes des origines ou pionniers de la méthode scientifique, chacun se juche sur ses prédécesseurs pour élever un peu plus l'esprit humain, toujours à la recherche d'un début et d'une fin.
En bon vulgarisateur, Jens Harder propose une paire de lunettes (avec des verres progressifs) pour autoriser une lecture plus nette et contrastée de l'énorme somme des connaissances qui fondent la compréhension de l'univers, avec pour corollaire l'apparition quasi-miraculeuse de la vie dans toutes sa complexité graduelle. De cataclysmes astronomiques en brins d'ARN, nous parviendrons jusqu'aux premiers hominidés, comme l'apothéose de cette complexité que rien ne semble guider.
L'autre grande contribution de cet ouvrage est pourtant de marier la cosmologie aux cosmogonies, comme un fier doigt d'honneur tendu aux contempteurs créationnistes de Darwin: Non le monde ne s'est pas fait en sept jours, non la première femme n'est pas sortie des côtes du premier homme, mais pour autant, on peut trouver du divin et de la poésie dans la biologie moléculaires ou l'astrophysique, cela n'a rien d'antinomique puisque ce sont deux facettes d'un même questionnement fondamental.
Le principe éditorial de ce projet est simple et totalement adéquate dans cette entreprise typiquement humaniste: Compulser, sélectionner et ordonner des images de toutes natures - Photographies astronomiques, vues microscopiques, bas-reliefs, gravures, peintures, illustrations - Toutes reformulées par les graphismes ébouriffants de l'auteur, qui s'ingénie à dresser un inventaire passionnant des modes de représentation (et donc de pensées) expérimentés par Homo Sapiens Sapiens au cours de ses quelques millénaires de développement culturel.
Harder ne se contente pourtant pas d'enfiler des perles, et compose des mises-en-pages qui peuvent s'émanciper du quadrillage directeur des planches pour mieux souligner associations d'idées et variétés sémantiques entre les images.
Le pied quoi.