Avec Amer Béton (1993), Taiyō Matsumoto nous livre une fable urbaine brute et poétique, où les toits de la ville deviennent une arène et où les rêves d’enfants s’écrasent contre les murs de la réalité. C’est un récit qui frappe fort, parfois trop fort, et qui mélange la violence et la tendresse avec une touche de surréalisme qui ne laisse personne indifférent.
L’histoire suit Blanc et Noir, deux frères inséparables qui règnent sur les toits de la ville de Takara comme des rois d’un royaume délabré. Noir est le protecteur sombre et taciturne, tandis que Blanc incarne l’innocence fragile et imprévisible. Leur lien est aussi intense que dérangeant, une relation symbiotique qui défie les normes, oscillant entre amour fraternel et dépendance destructrice. Ensemble, ils affrontent les gangs, les promoteurs immobiliers, et les ombres de leur propre passé.
Le style graphique de Matsumoto est aussi chaotique que les rues de Takara. Les lignes anguleuses et les perspectives déformées donnent à la ville une vie propre, un personnage à part entière, à la fois oppressant et hypnotisant. Mais si ce style unique ajoute une atmosphère viscérale au récit, il peut aussi dérouter : certaines scènes sont si denses qu’elles frôlent la surcharge visuelle, rendant parfois l’action difficile à suivre.
Narrativement, Amer Béton est un étrange cocktail de poésie brute et de brutalité enfantine. Les dialogues sont souvent énigmatiques, comme si les personnages eux-mêmes ne comprenaient pas complètement le monde qui les entoure. Cela donne une dimension onirique à l’histoire, mais cela peut aussi frustrer ceux qui cherchent une intrigue plus structurée. On ne suit pas Amer Béton, on le subit, un peu comme un coup de poing donné avec des gants en soie.
Si le manga brille par son originalité, il peut aussi laisser un sentiment d’inachevé. Les thèmes abordés – l’innocence perdue, la lutte contre les forces écrasantes de la société – sont puissants, mais parfois esquissés plus que développés. Le récit préfère souvent suggérer plutôt qu’expliquer, ce qui peut être fascinant… ou frustrant, selon votre tolérance pour l’ambiguïté.
En résumé, Amer Béton est une œuvre qui ne ressemble à aucune autre, une plongée dans un monde où l’enfance est à la fois un refuge et un champ de bataille. Taiyō Matsumoto signe ici un manga audacieux et viscéral, qui impressionne par sa singularité mais peut désarçonner par son approche souvent cryptique. Une lecture qui ne laisse pas indemne, à condition d’accepter de se perdre dans les méandres de cette jungle urbaine et émotionnelle.