Angel Densetsu
7.9
Angel Densetsu

Manga de Norihiro Yagi (1992)

Le postulat de base de ce Shônen humoristique est d’une simplicité biblique ; chose on ne peut plus idoine si on prend en compte le titre de l’œuvre. Ce propos, il en est si simple qu’on ne saurait y penser, un peu comme quelque chose qu’on ne verrait pas et qui serait pourtant là, en évidence, sous notre nez. Or, c’est d’un concept simple et élémentaire duquel on aurait magnifié jusqu’aux plus infinies extrémités qu’on peut retirer les résultats les plus spectaculaires. Un peu à la manière d’un atome minuscule et insignifiant qui, par une simple fission, nous ouvre de nouveaux et délicieux paradigmes. Cette histoire, elle en est même si élémentaire à la base que ses ressorts humoristiques sont tordus. On ne peut par conséquent qu’être ravi qu’un auteur ait prospecté cette bêtée afin de mieux l’exploiter pour le plaisir d’en rire.


Kitano, un lycéen serviable au cœur d’or a un visage quasi-démoniaque, et ce simple état de fait servira de centre de gravité à une multitude de gags tournant autour des innombrables quiproquos liés à l’impression qu’il dégage. Le postulat – et le manga tient à ça seulement – est un flocon de neige au sommet de l’Everest ; celui-ci, de son poids négligeable, fait lentement crouler quelques masses de neige enfouies en dessous pour donner lieu à une avalanche de rires.


Je n’aurais jamais pensé que l’on puisse garnir plus d’un chapitre autour d’un gag – un seul – en multipliant et en diversifiant les situations drôlatiques. L’auteur non plus par ailleurs, alors qu’il avait commencé son œuvre comme One-Shot qu’il croyait dénué ambition. Chaque interaction de Kitano engendre ainsi un malentendu qui l’amène à renforcer malencontreusement la réputation de démon qu’on lui colle injustement à la peau et ce, alors qu’il cherche désespérément à s’en départir. Quoi qu’il dise, quoi qu’il fasse, bien qu’il soit adorable et débonnaire, l’ensemble de ses contemporains ne peut que voir en lui un être monstrueux et cruel ; une réputation parfaitement à rebours d’un personnage timide et altruiste qui, rien que par ses silences, suggère le pire malgré lui. C’en est tragique, mais c’est aussi très drôle. D’autant que son absolu manque de discernement contribue pour beaucoup à aggraver son cas.

Le coup de l’humour axé strictement sur le quiproquo rappellera aux connaisseurs les frasques de Oingo et Boingo lors des événements de Stardust Crusaders. Voilà qui dresse, je le pense, un paysage suffisamment éloquent à même de rétribuer cet humour auquel vous aurez droit ici. Et sur quinze tomes je vous prie.


Les dessins, qu’on se le dise, se situent des années lumières avant Claymore, œuvre du même auteur. N’est-ce pas pour le mieux alors que, rétrospectivement, on ne peut qu'observer que le style de Norihiro Yagi s’est considérablement abâtardi et lissé ces dernières années ? On retrouve certes la rigidité quasi-cadavérique des personnages dans leur posture avec, en supplément, une patte graphique qui en ce temps-là était relativement grossière, mais savait être si personnelle et brute de décoffrage. Un charme irrésistible s’affine alors à mesure que les volumes défilent. Certains dessins, notamment quand il est question de nous rapporter les personnages féminins sur le tard, sont simplement magnifiques.


Durant les débuts, beaucoup de personnages se ressemblent au point où on ne saurait visuellement les distinguer les uns des autres. C’en est parfois problématique à la compréhension, d’autant que les uniformes n’aident pas. Et pourtant, il y a un style vraiment unique qui s’orchestre ici, le travail opéré sur les yeux de certains personnages et par ailleurs superbe ; les prunelles scintillent dans le noir de leur iris et font jaillir une humanité de personnages apparemment anodins. Mais, puisque le gag ne repose à la base qu’autour de l’apparence de Kitano, la mise en scène de son faciès horrifique – semblable par ailleurs à certains personnages dessinés par Junji Ito – se suffit à elle seule pour mettre dans le mille. Chose amusante, le visage terrifiant de Kitano aura servi de modèle aux démons de Claymore. C’est dire l’animal.


On ne s’en lasse pas de cet humour qui repose principalement sur cette gueule affreuse et pourtant, le comique de répétition traîne plus de quinze volumes durant en trouvant le moyen de varier les plaisirs. Angel Densetsu, c’est du Mister Bean sous crack liquide avec ce qu’il faut de violence (modérée) et d’horreur (drolatique) pour relever l’absurde de la chose.


C’est tout de même fou ce qu’un visage, à lui seul, traduit de nos intentions. Chaque parole, à commencer par la plus anodine, prend alors des allures de menace mortelle quand elle est professée depuis une gueule horrible. À chacun de l’interpréter à sa convenance. Tous les personnages de Angel Densetsu ont leur vision propre de Kitano, celle-ci étant biaisée et déformée par l’impression qu’ils ont de lui. De là, une série de malentendus exquis s’occasionnee en continu. Une vision collective déformée par ce que l’on pense plutôt que parce qui est… ce seraient pas comme ça qu’ont commencé les Évangiles ?


Avec les bosozôkus et les bastons inter-lycée, j’avais le sentiment de renouer avec les grandes heures de Shônan Junaï Gumi ; le séjour était agréable alors qu’il était ainsi mâtiné d’un brin de nostalgie pour mieux agrémenter l’humour ambiant. Même les antagonistes moins bourrins et plus manipulateurs – trop rares hélas – permettaient de varier un peu les plaisirs avec des saccades d’humour. On ne s’ennuie pas à la lecture en abordant un genre furyo pourtant déjà éculé à l’époque, mais sous un nouvel angle parodique, lui donnant ainsi une nouvelle dimension et une occasion de rayonner à nouveau.


La thématique est si agréable à lire que même l’histoire d’amour qui se dessine à tâtons n’entame pas le plaisir de la lecture. Le personnage de Ryoko n’est pas si mal à bien y réfléchir. Je hais d’habitude ces personnages féminins surfaits qui compensent l’absence de phallus par une surpuissance absurde, mais elle, en ce qui la concerne, parvient à allier justement sa maîtrise des arts martiaux tout en restant une lycéenne tout à fait classique.

C’est finalement extrapoler que de prétendre que le manga tient à un gag uniquement ; celui du malentendu perpétuel résultant de l’aspect physique de Kitano. Tous les autres ressorts comiques, à certains égards, y sont cependant liés d’une manière ou d’une autre. Les frasques de Kuroda, ce caïd qui ne repose sa réputation que sur de l’esbroufe, sont souvent à se taper le cul par terre, autant que les incursions de Heizo dans la trame.


Le dernier volume est vraiment tout ce qu’un amateur du manga – dont je suis – n’aurait pu rêver de mieux. Toutes les ficelles ont été nouées, tous les personnages auxquels on se sera attachés par-delà ce qu’ils ont à nous offrir sur le strict plan de l’humour ont eu l’occasion de s’illustrer, y compris les plus tertiaires. Et le tout se sera alors agencé comme un adieu groupé si bellement orchestré que le cœur saute au moins un battement. C’est rare de trouver un Shônen dont la fin est vraiment concluante et satisfaisante, et j’en ai lu un. Il n’a pas eu besoin de trop en faire pour clôturer son affaire comme il se devait.


L’aspect unidimensionnel du manga et, fatalement, un manque de diversité dans l’humour qui ne fait pas systématiquement mouche – bien que très souvent – à force d’user le même ressort comique contribue à atténuer relativement le potentiel de l’œuvre. Le six sur dix attribué ici récompense un Shônen qui, de base, est limité par son cadre exigu, mais c’est un six très solide que je brandis ; en acier trempé et chromé or qui, à maints égards, frôle même le sept. Je vous parle alors d’une note qui sanctionne ici une très agréable surprise que je vous souhaite d’éprouver.

Josselin-B
7
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le 23 sept. 2022

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Josselin Bigaut

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