Très sincèrement, je n’ai pas compris pourquoi Tsukasa Hojô a tenu à faire d’Angel Heart une suite alternative alors qu’elle a tout de l’exacte continuité de sa précédente œuvre. Peut-être était-ce parce qu’il ne pouvait se résigner à accepter la mort de Kaori et aura préféré situer cette trame dans un univers parallèle. C’est en effet moins douloureux de se dire que le personnage qu’on a pu apprécier jadis est bien vivant quelque part, bien au chaud dans les volumes de City Hunter. Il n’empêche qu’Angel Heart s’accepte comme sa suite légitime à tous les égards.
On le croirait inoxydable ce manga. À l’épreuve du temps. Le dessin ne se sera en tout cas pas trahi, sachant se sublimer juste ce qu’il faut pour dégager une atmosphère qui se trouvera être la même qu’en 1987. Je m’attendais à des renoncements, à des audaces maladroites pour tenter un « autre chose », mais non, Tsukasa Hojô poursuit sur sa droite lignée comme si jamais City Hunter ne s’était achevé. Il est saisissant de voir avec quelle aisance il a retrouvé son trait et ses bonnes – ainsi que ses mauvaises – habitudes.
Mais le monde a-t-il encore besoin d’un héros ? En est-il seulement digne ? Ryo Saeba est une transcription libre de ce que pourrait être un James Bond japonais. Un Last Action Hero qui sait aimer les femmes sans savoir ce qu’est un #MeToo, et qui dégomme en plus du loufiat au magnum entre deux gauloiseries. En 2001 – jusqu’en 2010 – c’était encore soutenable apparemment. Souhaitable même. Est-ce que ce type de héros est indémodable pour peu qu’on sache l’écrire ? Tsukasa Hojô a de très rares prouesses dans son écriture, mais savoir faire honneur à ce paladin des avenues mal famées, ça, il sait. On ne peut ne pas en être friand de Ryo Saeba, mais il faut savoir lui reconnaître son petit charisme.
Du changement, il y en a un peu. Pas longtemps toutefois. Je m’étais jadis plaint du format épisodique de City Hunter pour finalement reconnaître qu’il était plus idoine que ce scénario dramatique dont les tons sont si pesant à force qu’on en espéra quelque chose de plus léger. Mais une fois Xiang et Ryo retrouvés, on renoue avec le format classique de City Hunter et des aventures courtes étalées sur quelques chapitres chacune. Il n’empêche que Kaori manque, quand bien même son cœur aurait-il été greffé à la nouvelle héroïne. La dynamique du duo change, la demoiselle devenant cette fois la fille adoptive de Ryo. Mais cela sans que ça n’ait grand intérêt.
Néanmoins, malgré l’effort de l’auteur pour nous la faire apprécier, Xiang est de trop. Le personnage est écrit ce qu’il faut ; n’en demandons pas trop non plus, c’est un Tsukasa Hojô, mais retrouver tous les personnages de City Hunter avec elle au milieu donne l’impression d’une petite tache rouge sur la peinture d’un ciel bleu ; on ne remarque qu’elle, et ça n’est pas pour autant qu’on l’apprécie. Bien au contraire.
On lit là une suite – alternative, certes – parfaitement au diapason de ce qu’avait été City Hunter. Comme quoi, il est des auteurs qui, contrairement à d’autres, sont à même de ne pas se trahir lorsqu’ils poursuivent le tracé de leur œuvre initiale dans un nouveau titre. Pour autant, si Angel Heart apparaît comme le digne prolongement de City Hunter, il n’y a rien à dire en plus ou en moins. L’exact même schéma s’appliquera à nouveau après un arc liminaire étendu sur plus de cinq tomes ; des histoires banales s’enchaînent, Ryo disposera ses couilles bien burnées sur le nez du tout venant et on s’ennuiera tout pareil que durant les temps antiques de City Hunter. Y’en a à qui ça plaît, remarquez. Dans ce cas, qu’ils se ruent sur Angel Heart, c’est tout pareil que ce qu’ils ont connu. Le dessin n’en est que plus exquis qu’alors – il ne déméritait déjà pas à l’époque – et le contenu s’avère être exactement le même ; Kaori excepté.
La fin est tolérable, à l’image de ce qui l’a précédée. Y’a pas mal de bons sentiments, mais distillés ici dans une dose tolérable. Après tout, Angel Heart était aussi l’occasion de voir évoluer Xiang qui, avec le cœur de Kaori en elle, redevenait peu à peu la fille, puis la femme qu’elle aurait été sans avoir subi son entraînement impitoyable. Ç’aura été la seule addition qu’on trouvera en plus de ce qu’un City Hunter avait à nous apporter.
Angel Heart, en définitive, est un vestige du Shônen des années 1980 qui nous sera parvenu jusqu’à l’aune des années 2010. Culot insigne ; ça n’a pas pris une ride. Qu’on les aime ou qu’on les aime pas – et celle-ci je l’aime pas des masses – il est des œuvres indéniablement intemporelles ; inoxydables, à l’épreuve du temps et des critiques acerbes. Je pourrais l’écorcher autant que je voudrais Angel Heart, avec la même opiniâtreté que fut cette avec laquelle je me suis occupé de City Hunter ; ce sont cependant des monuments du manga. Ils n’ont rien de grandiose, mais ils ont tout pour eux, à commencer par une identité propre et un caractère criant. Ils sont ces vieux films d’action des années 1980 – eux aussi – ceux sans scénario et bourrés de clichés dont on se fait cependant un plaisir à regarder. C’est pas un plaisir coupable, c’est au-delà de ça ; il y a dans Angel Heart et City Hunter des morceaux de « vrai » qui en font des classiques. Pas de ceux que j’apprécie néanmoins, mais des classiques auxquels je reconnais volontiers leur rang.