À suivre, sans ordre particulier, les suggestions manga de mes abonnés, je passais d’Ushijima l’usurier de l’ombre à Aiguilles démoniaques. Autant dire que la thématique initiale ne dépaysait pas franchement en passant ainsi d’une œuvre à l’autre. L’intérêt que l’on puisse porter à l’œuvre y fut ici cependant absolument déficitaire. Que ce fut le postulat, les personnages, les enjeux, tout est présenté de manière convenue et sans élan créatif particulier, avec un dessin bifurquant timidement vers du sous-Urasawa pour que l’incurie prenne forme.


Des bulles introspectives sur des volumes entiers… à quoi bon se poser sur un support qui repose sur le dessin si c’est afin de tout couvrir d’une narration opaque et abondante qui nous introduit à tout sans une once de subtilité ? Oui, décidément, passer d’Ushijima à ça nous fait perdre quelques paliers de décompression au point où l’on entend siffler ses oreilles rien qu’en lisant.


Le milieu criminel n’y est pas crédible, tantôt fantasmé, tantôt poussif, il ne parvient pas à convaincre. L’auteur cherche ici à imiter la criminalité plutôt que de nous la rapporter pour ce qu’elle est. Le rendu nous apparaît alors comme plutôt immature et mal inspiré. Un tome entier nous passe sous les yeux et on ne sait pas où le script souhaite nous conduire ; c’est un problème. Un qui tient même de l’existentiel pour une œuvre qui n’a rien à dire mais ne peut s’empêcher d’être excessivement bavarde.


Et voilà que le héros endosse vite un rôle de justicier des bas-fonds. Avec la gueule qu’il se paye, je jurerais lire un spin off basé sur les péripéties de Mammouth. Pour de vrai. Là encore… c’est un problème quand on prétend écrire une œuvre crédible pour ce qu’elle a de sombre, à multiplier en plus les faux effets horrifiques. Ces flatulences de la mise en scène sont l’équivalent des « jumpscare » semés le long des films d’horreur, un moyen à pas cher de surprendre sans qu’il ne soit besoin d’écrire pour œuvrer en ce sens. Un artifice spécieux en somme.


Anguilles démoniaques, ça cherche. Ça cherche à être un récit réaliste dans le milieu de la criminalité, ça cherche à faire peur, ça cherche à entretenir le mystère de Kuromu et de la petite fille, ça cherche à nous interroger sur la ressemblance entre Tomoko et Miki, ça cherche à écrire du drame... ; ça cherche, ça cherche, ça cherche, et jamais ça ne trouve quoi que ce soit. Pas même son chemin. J’ai cru, le troisième et dernier tome refermé, que l’intrigue m’était passée à côté. Je crois cependant que je suis simplement passé dessus. J’avais même le sentiment de lire du Tetsuya Tsutsui pour ce qui est de la gestion narrative… mais en moins bien ficelé.


Y’a aucun mystère… tout est transparent du début à la fin en affectant d’être nébuleux. Chiwaki a beau sans cesse prendre des airs ahuris et choqués chaque fois qu’il pose les yeux sur quoi que ce soit… il n’y a rien de surprenant dans ce qu’on découvre. Ce couillon, évoluant pourtant dans le milieu de l’économie clandestine et de tout ce que cela implique, tombe des nues devant des évidences crasses. « Ça alors ! La pute était malhonnête et ne se souciait que de l’argent ! Qui l’eut cru ? ». Les auteurs, ils auraient lu Ushijima que ça les aurait déniaisés au point de récurer leur candeur jusque dans le cervelet. Faut-il être ingénu pour croire surprendre ou choquer qui que ce soit avec des révélations de puceaux pareilles.


Tous les personnages sont prévisibles, bidimensionnels, toujours à hocher entre le très gentil et le très méchant. Le scénariste, ce faisant, croyait ainsi accomplir une forme de nuance en élaborant de tels protagonistes qui, quand ils ne tirent pas des gueules acariâtres et maléfiques, n’arborent que de doux et innocents sourires… Tout est si maladroit quant à ce qui se rapporte à la construction du récit, l’étalage de la narration ou l’écriture des personnages qu’on ne peut trouver, à l’arrivée, qu’un contenu franchement bancal.


Et ces efforts désespérés pour faire plus « choc », c’est à pleurer. De rire d’abord, de mépris ensuite.


« Et là… et là… il la viole tellement fort qu’elle lui fait caca dessus parce qu’en fait, il l’a tuée pendant l’acte » a sans doute été une réplique échangée entre les auteurs quand ceux-ci se gargarisaient d’écrire un de leurs innombrables et navrants chapitres, croyant en plus rapporter quelque chose d’authentique en toc grâce à ces « trésors » d’écriture.


Celle qu’il a tué le contacte par SMS et… plutôt que d’en tirer la conclusion la plus logique qui s’impose, et d’en déduire que quelqu’un lui a pris son portable… il converse avec elle comme une collégienne distraite en déballant tout ce qu’il y a de plus criminel et en cherchant à la rencontrer sans même se douter de quoi que ce soit. Qui est assez stupide, franchement, pour se faire avoir comme ça ? Il se fait enfermer dans un taxi et flippe. Il est gros comme un buffle, aurait juste quelques coups à mettre dans la portière pour la faire sauter – ou du moins la vitre – mais il n’y pense pas.


Y’a rien qui tient dans le récit si on y réfléchit plus d’une seconde. J’ai passé plus de temps, en lisant Anguilles Démoniaques, à me faire la réflexion que ce que je lisais était une pure ineptie qu’à lire à proprement parler.


Mais en fait ! Figurez-vous ! Miki, qui a été tuée par une crise d’infantilisme du personnage principal, elle avait un frère ! Vous saviez pas, ça, hein ? Et ce frère, c’était le personnage de Kuromu dont on a vu la silhouette une fois et dont on ignorait le nom. Étonnant, non ?!

C’est pas que c’est pas étonnant…. c’est que ça n’a aucun intérêt scénaristiquement parlant. Ça ne répond à aucun enjeu. On improvise simplement avec des éléments qui nous viennent, comme ça, sans trop qu’on sache ce qu’ils font là. J’ai rarement, sinon jamais, lu une histoire aussi mal scénarisée quant à tous les éléments qui la constituent. Rien n’a été pensé convenablement dans le récit : rien.


Et qu’est-ce que c’est que cette fin ? Ils ont terminé leur manga sur un Cliffangher… y’en a qui doutent de rien. Je n’ai jamais vu ça, et je ne suis pas stupéfait de l’avoir découvert ; plutôt outré. Cette histoire a été écrite sans être pensée et sans avoir la moindre finalité, c’était confondant de nullité. Mais pourquoi des éditeurs laissent passer ça ? Pourquoi ne se trouve-t-il pas un casse couilles dans mon genre dans leurs offices pour dire aux auteurs où ça pèche niveau écriture ? Et dire que ça se sera même exporté jusqu’à nos contrées. Il faut avoir des appétits franchement désespérés pour se résigner à une telle pitance pour l’esprit. À y avoir goûté du bout de la langue, Aiguilles Démoniaques m’aura conforté dans mon jeûne.

Je me suis plaint mille fois qu’on écrivait les immondices, mais ici… les auteurs ne seront même pas parvenus à écrire convenablement ; à narrer ce qu’ils nous offraient.

Josselin-B
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le 4 sept. 2024

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Josselin Bigaut

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