Ces dernières semaines, je me suis refait l'intégral de Thorgal, 59 albums à raison d'un rythme de plus ou moins 7 albums par jour. Et mon Dieu quel plaisir intense pour moi que celui de revivre toutes ces aventures qui nous bercent, nous lecteurs, depuis tant d'années ! On a tous nos albums préférés. Pour ma part, j'aime intensément le 3, le 5, le 9, le 12 (mon préféré), le 15, le 20, le 25, le 29 ... Van Hamme et Rosinski nous ont offert un univers qui n'a rien à envier à des Star Wars, Seigneur des Anneaux ou autre Tour Sombre.


Et puis, vient la relève à partir du tome 30 ainsi que les mondes parallèles. Je suis très mauvais critique, car j'ai tendance à aimer tout ce que je lis, à trouver des qualités partout, à trouver des excuses, vous voyez, car je suis obstiné quand j'aime profondément une oeuvre.


Ce long cycle basé sur le troisième fils de Thorgal marque un véritable tournant. Tout est repensé. On perd la simplicité et l'efficacité scénaristique de van Hamme (une bonne histoire par album qui se suffit à elle-même) pour une longue et complexe trame qui s'éternise et s'éternise et... s'éternise. Pas grave, comme je l'ai dis, je suis très bon publique. Je passe vraiment de bons moments du tome 30 jusqu'au tome 33. Kriss et Louve aussi m'offrent de belles histoires de leur côté. Je tolère, je valide, je trouve des qualités.


Et puis arrive le déclin à partir du tome 34 qui me pose une vraie colle. Oui je n'arrive pas à lui faire des louanges au niveau de son scénario. Je m'ennuie. Quoi ? Est-il possible de s'ennuyer en lisant Thorgal ? Hélas oui. Les magnifiques dessins de Rosinski ne parviennent pas à effacer cet ennui. On s'enlise dans une complexité scénaristique assez mal amenée. Pour vous dire, j'ai du relire ce tome 34 deux fois et je n'avais toujours pas réussi à maîtriser et situer tous les personnages tellement il y en a et tellement cela manque de dynamisme et de clarté. On est passé d'un Thorgal en action à un Thorgal verbeux. le tome 35 est un peu mieux, mais pas dingo non plus.


Alors je me dis : bon il a intérêt que cet album 36 fasse tout péter. C'est LE tome à ne pas louper. Celui qui va tout lier. C'est la conclusion ultime, celle qui boucle cette longue trame ainsi que les mondes parallèles de Kriss et Louve, mais aussi celle qui termine avec le génial Rosinski. En tant que fidèle lecteur, on est en droit d'attendre du lourd. On est en droit de vouloir qu'on nous baisse les rideaux en apotéose, standing ovation et tutti quanti !


Eh bien non ! Et c'est là que, même avec toute la tolérance et l'ouverture du monde, je n'arrive pas à être convaincu par ce tome 36. L'enthousiasme s'évapore, les ailes d'Icare se décollent, cet album 36 chute du 36ème étage de la pyramide d'Ogotaï.


On nous sert une énième histoire de guerre entre deux clans, tellement, mais tellement hors sujet. Attention, je n'ai rien contre une nouvelle aventure au pays du Mal Bleu, mais pas là, pas dans la conclusion ultime du cycle des Magiciens Rouges ! Plus je parcourais les pages, plus je ressentais un stressant compte à rebours : "Mais attends ! L'album n'a que 48 planches ! Et on est en train de les utiliser pour ça ? Sommes-nous vraiment en train de gâcher cet album ô combien important pour une autre petite bataille quelconque entre deux entités qui n'ont rien à faire là en cet instant ? Que va-t-il nous rester pour les retrouvailles, pour boucler la boucle ? Comment vont-il parvenir à donner du corps et de la profondeur dans ces moments tellement cruciaux à ce stade de l'histoire ?


Dix planches ! Dix malheureuses planches qui viennent expédier d'un trait la fin de ce pénible et long périple. Même Thorgal le dit : "J'ai fait tout ça pour ça ?" Mais bordel on se fou de nous à tel point que même Thorgal a senti l'arnaque. J'hésite entre considérer cela comme une bonne blague ou un gros doigt d'honneur. Je me frotte les yeux en espérant émerger de l'entre-deux mondes, mais non. Rien. Pas de Gardienne des clefs ou autre créatures fantastiques pour me sauver de cette cruelle réalité.


En refermant l'album, j'ai un goût amer dans la bouche. Un sentiment de frustration et de déception. Je me dis que tous ces scénaristes et dessinateurs, à force d'embarquer et de quitter le navire, à force de ne pas réussir à s'entendre, à force d'essayer de vouloir recoller les morceaux tant bien que mal ... sont en bout de course arrivés à ce résultat insipide, tel un soufflet qui est retombé, mais qu'on nous sert quand même parce que de toute façon, aujourd'hui, on est habitué à la mal-bouffe.


Je sais que je passe pour ce genre de fans qui, pour avoir beaucoup d'attentes, n'accepte pas la fin qu'on lui propose ou parce qu'il en avait imaginé une autre, mais je tiens tout de même à nuancer cela : Je n'ai absolument rien contre les partis-pris ou les audaces scénaristiques. Je l'ai dis, je suis tolérant et j'ai tendance à valoriser les prises de risques. Par contre, mon indulgence s'arrête quand le chemin de croix qu'on nous force à traverser n'est pas volontaire, quand on nous balance un sac de noeuds à démêler en mode "démerdez-vous avec ça". " Chef, l'assiette est tombée par terre. Je fais quoi ?" "Envoie quand-même, on n'a que ça de toute manière, ils vont bien s'en contenter."


Le lecteur n'a pas demandé cette histoire complexe, mais il lui a donné une chance, car il aime Thorgal. La faute plutôt à ceux qui ont prétendu lui offrir une grande ambition, mais qui ont échoué avant d'arriver au bout. Quelle ironie quand la devise du héros même de cette histoire est de ne jamais renoncer. L'équipe derrière ces histoires a renoncé. Elle n'a pas réussi à harmoniser et être à la hauteur de la conclusion que mérite Thorgal. Ils s'en sont très certainement rendu compte en cours de route, mais trop tard, il fallait bien proposer quelque-chose. Un quelque-chose auquel ils ne croyaient même plus. En tant que fidèle lecteur, je me sens comme la magicienne du premier album : trahi.


J'aurais vraiment aimé ne pas avoir à rédiger ces sévères lignes, mais après avoir tellement vibré sur les vignettes de notre enfant des étoiles préférés, j'avais besoin de partager mon ressenti qui, je le sais, n'est pas isolé. Rosinski et Van Hamme nous laissent derrière eux de magnifiques histoires et c'est dans celles-là que je me réfugierai en essayant d'oublier cette fade et terne conclusion du cycle d'Aniel qui avait pourtant si bien commencé.

IanDepauw
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le 30 avr. 2020

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