Anjin San
7.4
Anjin San

Manga de George Akiyama (1982)

Anjin San est un pavé de presque 500 pages d’une douceur et d’une générosité d’autant plus inattendues qu’il succède au Caïd de Shinjuku, du même auteur, d’une cruauté et d’une insensibilité rares. Deux livres aussi contraires, que ce soit dans le propos comme dans la mise en scène, étonnent de prime abord au sien d’une carrière. Le Caïd de Shinjuku, paru en novembre dernier, suivait les pérégrinations nocturnes d’un préteur sur gages mafieux. Prostituées et débiteurs tombaient sous la coupe de ce tortionnaire qui ne laissait jamais percer ses sentiments, statue de chair déformée et insensible mue uniquement par la violence, la libido et le plaisir d’humilier l’autre. Si quelques troubles existentiels rares venaient de-ci de-là sous-tendre une forme de critique sociale, ils ne suffisaient jamais à justifier cette peinture, au naturalisme trop magnanime, de la bestialité et de la gratuité. Or Anjin San, par sa beauté humaniste et bucolique, commande aujourd’hui de réévaluer l’œuvre de George Akiyama sous un nouvel œil.
Anjin San raconte ainsi les aventures d’un petit être rond au visage doux et lisse dont l’unique projet est d’aider les créatures égarées sur sa route. Un descendant de Bouddha qui arpente les campagnes japonaises des années 70 et dispense ses conseils dans des villages désertés par un exode rural soudain et massif. Les nouvelles se succèdent avec un plaisir d’autant plus intense que le dessin, gracieux, flatte la sensualité naturelle de corps mélancoliques et la sérénité des paysages. Ici encore, la relation entre misère affective et misère sociale est au cœur des préoccupations. Hormis que la dignité règne, à tout instant, comme un envers affecté aux humiliations violentes endurées dans Le Caïd de Shinjuku.
C’est donc un curieux et déchirant portrait du Japon des années 70 qui se dessine en creux entre ces deux œuvres, dressé par un artiste de plus en plus impénétrable. Et ce n’est pas le moindre de ses mérites.

Stéphane BAPOUM pour les Inrockuptibles
aaapoumbapoum
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le 17 juil. 2012

Modifiée

le 21 juil. 2012

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aaapoumbapoum

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