Derrière sa pochette qui ne paye pas de mine et sa mise en page disciplinée, cette petite bombe graphique restitue un récit qui n'attendait peut être qu'une chose: que la Bande-Dessinée se penche enfin sur son cas.
C'est en tout cas un moyen convaincant pour faire ressentir au lecteur le monde intérieur et solitaire de l'enfant aveugle de cette histoire exemplaire. Les ellipses narratives y sont discrètes, précises et très évocatrices; le traitement graphique des perceptions sensorielles de l'enfant, proche de la synesthésie, et l'enchaînement de certaines séquences de cases sont souvent impressionnantes de justesse, quoique toujours délivrés avec retenue et sobriété: Pas d'effets de manches, pas de manières - Lorsque le mélodrame explose au détour d'une page, il le fait au service de l'histoire et de ses personnages, à qui il laisse respectueusement la couverture.
Dans ces dispositifs maîtrisés, l'auteur fait également valoir les passionnants mécanismes de l'apprentissage du langage et des abstractions mentales qu'il suscite, jusqu'à l'émancipation d'une pensée d'autant plus saisissante qu'elle germe dans l'esprit clôt d'une petite aveugle piégée dans ses propres perceptions lacunaires.
90 pages que j'ai trouvé magistrales, tristes et prenantes, et sur lesquelles je suis revenu deux ou trois fois dans la lancée de ma première lecture.