Un connaisseur - même amateur - saura reconnaître le trait de ce qu'il lit d'instinct. Ma lecture d'Appleseed, je m'y suis vautré sans même étudier le terrain, sans même me renseigner sur son auteur. Je partais, comme toujours, insouciant et sans idée préconçue... à quelques exceptions prêt. Il m'aura alors fallu moins d'un chapitre avant que mon hippocampe se rappelle à mon bon souvenir pour justement m'évoquer quelques bribes de mémoire. Ce trait, je le connaissais. Je l'appréciais en tout cas suffisamment pour que celui-ci ne me soit pas indifférent. Un trait qui me rappelait un genre ou, plus qu'un genre, un auteur pesant assez lourd pour être une catégorie à lui seul.


Je prenais ainsi la peine de lire la première de couverture pour confirmer mon hypothèse : Masamune Shirow était aux pinceaux. Au scénario aussi ; ce qui se voulait alors moins réjouissant dans le principe. J'avais pensé l'auteur comme l'homme d'un seul succès, succès dont je conteste finalement la pertinence tout en lui reconnaissant ses atouts, succès avéré néanmoins, en dépit du fiel qui me coule de la plume.


Si le dessin d'Appleseed m'a frappé comme il se doit, les premières ébauches de scénario, elles, m'auront davantage évoqué Eden à ses débuts. Shirow, mieux encore que Yukito Kishiro, est un mangaka dont l'approche de la SF aura - indépendamment du succès Ghost in the Shell - été trop souvent occulté tout en se voulant pourtant unique. C'est un sentiment plus qu'une conviction que j'énonce alors, mais le nom de Shirow revient finalement trop peu quand il est question d'évoquer la S.F en manga. Akira ou BLAME! dans leur registre respectif, s'illustrent mieux. Ils ont peut être un quelque chose que Shirow n'a pas.


Le style Shirow passe avant tout par les dessins. Ceux-ci relatent alors du S.F industriel avec des câbles partout, garanti sans édulcorant. Tout y brille autant que ça grince, c'est très soigné sur le plan du dessin mais, fallait-il en espérer moins d'un homme qui a dessiné Ghost in the Shell ? Néanmoins, l**e style Shirow, c'est aussi une modalité de narration confuse, complexe et dense au point d'en devenir trop souvent inintelligible**.


Comme du temps de Ghost in the Shell, j'ai toujours un mal fou à suivre le récit. Un récit sans début à proprement parler. On se raccroche à ce qu'on peut dans le feu de l'action sans savoir où on est ou bien où on va d'ici à ce que, peut-être, la lumière nous vienne à tous les étages et que l'on comprenne ce que l'on a précédemment lu, ne serait-ce qu'à titre rétrospectif.
Mais plus on déballe et plus il y a d'éléments à comprendre et d'autres à rattraper. Je ne demande pourtant pas un parcours fléché, mais au moins la pédiluve avant de brasser dans les abysses. Je finissais chaque page d'Appleseed en me demandant si j'avais bien compris ce que je venais de lire. Plus inquiétant encore, j'en venais à m'interroger quant au fait de savoir s'il serait souhaitable que je m'y intéresse.
Car bien peu d'éléments du récit y prédisposent.


Appleseed n'est pas non plus verbeux pour la plaisir d'être prétentieux, ce qu'on y écrit a un sens. Un sens aussi complet que confus ; ça se lit avec un air hébété sur le visage et les sourcils en courbe d'oscilloscope. Du fond y'en a, c'est pas ça qui pèche. Habitué que je suis à hurler à la prétention lyrique, je reconnais qu'il y a une histoire et qu'elle est même solidement structurée. Mais j'admets sans peine que cette histoire-ci est narrée trop chaotiquement pour qu'on puisse s'en saisir. Appleseed - comme l'avait été Ghost in the Shell - est un pont pensé et conçu par un ingénieur méthodique et créatif. Seulement, ce pont, s'il est stable, s'il est viable, il n'est simplement pas adapté pour que les véhicules roule dessus. Il est inabordable tout en étant pourtant irréprochable pour ce qui incombe à son élaboration.


Comme un chien la tête à travers la vitre arrière de la voiture, à chaque page qui se tourne, je constate le paysage défiler en bavant et sans trop comprendre ce qu'il se passe. Ça se passe, ça, au moins, je l'ai compris. Pour ce qui est du reste...
Je n'aurai pas l'audace d'écrire que je ne suis pas con - car c'est précisément et paradoxalement ce qu'un con écrirait - mais je pense, au risque de paraître de mauvaise foi, que l'incompréhension et le déphasage à la lecture du récit d'Appleseed ne vient pas uniquement de moi.


La narration est finalement trop expérimentale pour que je m'y abandonne ou y souscrive en aucune manière. Appleseed est un beau corps sans système osseux. Sa beauté, la saillance de ses muscles, tout cela ne vaut finalement plus grand chose si tout s'affaisse en un amas confus et brouillon d'où on ne parviendrait pas distinguer un orteil d'une oreille. Il s'en serait fallu de peu pour que ça soit quelque chose d'épais et consistant. De quoi exactement ? Je ne saurais exactement le dire. Il aurait fallu davantage vulgariser, quitte à abâtardir. Le scénario était trop haut perché pour que je puisse m'y accrocher. Et quatre volumes, c'est long quand on ne comprend rien...


P.S : J'ai terminé de lire le top 100 Seinen, les critiques suivront prochainement. Si vous avez des recommandations manga à faire, pour que j'encense, pour que je découvre ou encore le plaisir de me faire éructer de rage devant une atrocité, j'invite tous mes abonnés à émettre leurs doléances dans les commentaires de cette critique.

Josselin-B
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le 6 févr. 2022

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Josselin Bigaut

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