Un road trop dans la Russie d'avant Poutine

Dans les années 1990, entre la fin de l’Union soviétique et l’avènement de Vladimir Poutine, la Russie vit une période étrange, propice aux trafics et aux coups tordus. "Libérée du joug communiste, la Russie est livrée en pâture au capitalisme le plus sauvage", écrit Pierre-Henry Gomont dans la préface de "Slava". C’est à cette époque-là que l’idéal égalitaire est définitivement enterré par une poignée d’oligarques, qui parviennent sans scrupules à mettre la main sur une grande partie des richesses de l’ex-URSS. La corruption et le chaos qui règnent alors dans le pays leur facilitent grandement la tâche. Dimitri Lavrine, l’un des personnages principaux de "Slava", rêve de devenir un de ces oligarques voraces et surpuissants. Il admire notamment un certain Morkhov, une sorte de Bernard Tapie à la russe, qui rachète des usines en difficulté à bas prix en promettant de les relancer mais qui, au final, est généralement le seul à s’enrichir dans l’aventure. Mais Lavrine n’est pas encore au niveau de Morkhov et des autres requins de la finance. Pour le moment, il se contente de récupérer des vestiges de l’architecture soviétique pour les revendre à de riches investisseurs. Sa devise est simple: tout se vole et tout se vend. Slava Segalov, son homme de main, aimerait être comme Lavrine, mais il n’y parvient pas. Slava est un peintre qui a renoncé à ses rêves d’artiste. Il tente de trouver sa place dans ce nouveau monde post-communiste, mais il a des états d’âme. Un jour, alors que Lavrine et Slava sont occupés à récupérer des vitraux dans un bâtiment soviétique à l’abandon, ils se font tirer dessus par de mystérieux hommes armés et leur camionnette bascule dans le vide. Heureusement, ils peuvent compter sur l’aide providentielle de la belle Nina et de son père Volodia. Une rencontre qui va bouleverser leur vie.


Pierre-Henry Gomont est un auteur particulièrement intéressant à suivre parce qu’il surgit toujours là où ne l’attend pas. Après avoir adapté avec beaucoup de talent des romans en bande dessinée (notamment "Les Nuits de Saturne" et "Pereira prétend"), après s’être inspiré de l’histoire de son propre père dans le multi-primé "Malaterre" et après avoir signé un récit burlesque sur le vol du cerveau d’Einstein dans "La Fuite du cerveau", le voici qui signe un road-movie déjanté et tragi-comique à travers la Russie. Non pas celle de Vladimir Poutine, dont on parle abondamment depuis quelques mois, mais celle de Boris Eltsine. La Russie un peu oubliée des années 1990, déboussolée par une transition trop violente après la chute soudaine de la dictature communiste. Grand connaisseur des pays de l’Est, où il s’est souvent rendu, le sociologue Pierre-Henry Gomont raconte magnifiquement cette Russie à la croisée des chemins, entre la nostalgie de l’ère communiste et l’attirance pour le capitalisme débridé. Comme dans "La Fuite du cerveau", l’auteur insuffle énormément d’humour, de rythme et de vivacité à son histoire, avec des dialogues qui font mouche, des onomatopées écrits en lettres cyrilliques et surtout des personnages qui s’agitent dans tous les sens. On pense inévitablement à Christophe Blain en voyant les planches de "Slava", car elles ont la même énergie que celles de "Quai d’Orsay" ou de "Gus". Et puis comme chez Blain, la force de cette nouvelle série signée Pierre-Henry Gomont réside dans ses personnages, qui se révèlent particulièrement attachants, tout en étant souvent un peu ridicules. Lavrine, Slava, Nina et Volodia ont des caractères très différents, mais ils incarnent chacun à leur manière cette âme slave si chère au coeur de l’auteur, faite d’un mélange étonnant de fougue et de mélancolie. La bonne nouvelle, c’est qu’il ne faudra pas trop patienter pour connaître la suite des aventures de Slava puisque cette saga est prévue en trois tomes, au rythme d’un album par an.


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matvano
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le 23 sept. 2022

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