Area 51
7.3
Area 51

Manga de Masato Hisa (2011)

Le dessin. Je pourrais, comme cela est de rigueur lorsque je m’adonne à l’art aisé de la critique, tourner autour du pot, me complaire dans une introduction acide ou sucrée, mais pour cette fois, je choisis de faire l’impasse afin d’en aller au plus pressé : le dessin. C’est ce qui vous saute aux yeux. Quand, certains interpellent, nous rappelle ceci ou cela, nous écœurent ou, plus fréquemment, ne nous évoquent rien, il y en a qui vous prennent à la rétine en deux pages de temps.


L’originalité, dans le manga contemporain, qu’elle soit de nature graphique ou scripturale, est une denrée rare et précieuse. Toutes les œuvres, quand on les enfile, se suivent et se ressemblent, avec une aspérité occasionnelle ou bien un mont gigantesque au milieu de la crevasse qu’on arpente. Le dessin n’a rien à voir avec ce que l’on a pu lire ailleurs. Hisa Masato mêle ici les codes du manga – on n’en attend pas moins – à des traits empruntés aux comics tendance Roman Noir. Le contraste du noir et du blanc n’aura, alors, jamais été si bien mis à dessein en dessin et rappellera certaines belles planches de Beastars. Peut-être que cela a souvent un côté tapageur et que cet aspect « Noir » déborde des esquisses jusque dans la trame, mais ça fait en tout cas un bien fou à parcourir des yeux.


L’idée de départ, partie d’une bonne intention, est mauvaise bien que correctement exploité. On y mélange pêle-mêle roman noir, créatures surnaturelles et héroïne « Badass » que rien n’arrête. À l’œil, ça présente bien, avec un côté authentique, bizarre et original, mais à l’esprit, quand on cogite, le contexte n’est finalement pas très recherché. Il aura suffi de puiser dans le folklore pour remplacer les habitants du Bronx par des monstruosités anthropomorphes diverses.

Ça ne va pas chercher très loin, mais je comprendrai qu’on se laisse esbroufer tant tout cela est bien manié dans la narration.


Les miasmes qui échapperont de la marmite à globiboulga seront aussi erratiques qu’aléatoires. On prend un élément de légende de quelque contrée que ce soit, on le jette dans l’aventure, et on brode autour. C’est la formule. Le sens de l’étrange ne fonctionne que grâce aux dessins dont l’élaboration offre au lecteur un aspect décalé ; mais un aspect seulement. Qui regarde au-delà perd ses yeux dans le vide.

Au fond, ça se veut un condensé de références à la pop culture américaine. Entre le contexte et les divers imports (un Pan qui s’appelle Del Toro, clin d’œil, clin d’œil), ça prend parfois des airs de rêve humide pour wannabe yankees assez lourdingues à lire.


La protagoniste principale ? Il aurait fallu la baptiser « Mary Sue McCoy ». Elle roule sur tout, jamais ne fléchit, est douée en tout, fait montre d’une assurance débordante et, parfaite qu’elle est… n’a strictement aucun intérêt. Sans personnalité véritable – valeur étalon à laquelle se référera tout le cheptel de personnages – elle trouve le moyen de se faire haïr de ses lecteurs malgré elle. Ce petit côté fier d’elle à tout accomplir sans effort n’aide décidément pas. L’auteur, dessiner, il sait ; écrire, beaucoup moins.

Il n’y a pour ainsi dire aucun personnage secondaire. L’acolyte qui nous est présenté, pas même assez consistant pour faire office de faire-valoir, est ectoplasmique et mou comme une fausse-couche. Non, ce ne sera que McCoy contre le monde ; le monde étant peuplé de méchants apparemment trop bouffis de vice pour que l’écriture ne trouva la place pour mieux écrire leur personnalité.


On a droit au classique recueil d’histoires courtes où Ryo Saeba McCoy vient en aide à ses clients, dévoilant le monde une facette après l’autre. On fait de l’edgy à pas cher, c’est sale, c’est vilain, mais c’est déballé de manière si criarde que c’est en trop, et en mal. Le manga ressemble à une jonction opérée entre Supernatural et Sin City. Le mélange des genres ne se fait pas entre l’huile et l’eau et ne contribue qu’à rendre la concoction infecte. Si vous voulez une œuvre qui pioche dans la légende pour ce qui tient à son bestiaire, et parvient à en aborder les éléments en se les appropriant sans les dénaturer, une escale du côté de Gloutons et Dragons ne sera alors pas superflue pour vous laver le goût de « m’as-tu-vu » que vous laissera Area 51.


C’est à jurer que l’œuvre, par tout moyen, à commencer par les plus tapageurs, vous hurle sans arrêt « soyez stupéfaits par mon sens du bizarre et de l’horreur ». Cette horreur banale de ce monde, on nous la force plutôt qu’on nous la suggère, si bien que le procédé paraît si grossier qu’on ne peut que désirer s’en détourner.


On croirait finalement lire sur les planches une émule ratée du monde onirique et glauque de Dorohedoro, à peu de choses près que, pour imiter ce beau corps, Hisa Masato y a assemblé les mêmes organes dans la carcasse, mais sans les relier entre entre eux. L’univers est un ramassis d’éléments agglomérés anarchiquement les uns aux autres plutôt qu’un monde original vraiment développé. S’il n’y avait pas eu le dessin, Area 51 n’aurait été qu’un Black Cat surnaturellement doté.

Toutes les histoires, qu’elles soient au format épisodique ou étalée sur un temps plus long, se ressemblent dans leur orchestration. Les itérations tournent en rond comme une spirale hypnotique qui ne tarde pas à nous assoupir.


Area 51 est une mauvaise idée sympathiquement mise en scène, mais sans que rien dans ce qui la compose ne puisse rendre l’œuvre marquante. Tout y est tape-à-l’œil et braillard, à nous parler horreur plutôt qu’à savoir nous la présenter. C’est triste de contempler une inanité à laquelle on aura deviné des contours afin de lui donner vie. Ça peut valoir le coup d’œil, mais bien que la rétine sera charmée par ce qui lui passera devant, interpréter ce qu’on voit pour deviner ce qu’on lit, ce sera finalement ça qui nous détournera d’Area 51. On ne peut que souhaiter qu’Hisa Masato remette le script entre les mains de qui sait écrire afin de s’y associer ; il y aurait de quoi faire naître un jolie bête éditoriale.

Josselin-B
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le 25 sept. 2024

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Josselin Bigaut

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