N’est-ce pas présomptueux que d’invoquer le nom du dieu de la guerre dès le titre de son œuvre ? D’autres l’ont bien fait avec des intentions moins louables me direz-vous, mais un crime gravissime ne saurait en pardonner un autre au prétexte qu’il serait moins dommageable. Surtout d’il s’agit d’un crime de guerre. Car il n’y a décidément pas ici tromperie sur la marchandise, il est bien question de guerre entre royaumes. Le doute ne nous est même pas accordé puisque que les préambules d’Ares s’étalent sur une carte. « Vous êtes ici » aurait-on presque pu lire tant le récit était initialement guidé par une narration dirigiste. « Telle nation est géographiquement située ici quand les trois autres sont là » c’est en ces termes bien maladroitement articulés que nous est promptement présenté le contexte. Imaginez-vous Tolkien, une carte Michelin sur le capot de sa voiture, en train de vous lire le Seigneur des Anneaux en partant d’une approche strictement géographique. Tout de suite, ça perd en prestige. L’histoire ne s’arrête pas là, et pas à ça seulement… mais elle commence en ne cherchant pas même à se montrer vaguement allusive ; elle nous mâche la découverte et nous la crache au fond du gosier. C’est pourtant pas des choses à faire.


Que cela soit dit en passant : je sais qu’Ares, du fait de sa ligne éditoriale coréenne, n’est un Shônen à proprement parler, mais il en a l’allure conforme. Je me référerais alors à lui en tant que tel. Les puristes trouveront matière à grogner, mais on aura beau mettre une corne sur le front d’un cheval, ça en fera un cheval avec une corne et non pas une licorne.


Quelques mots sur le dessin, il mérite qu’on en cause. S’il fallait se risquer à lui accoller une qualification, je dirais de lui qu’il s’oriente vers un graphisme bishônen assombri. On retrouve beaucoup de personnages fluets et on peine parfois à distinguer les mâles de ces dames. Ares, sur un plan strictement graphique, était ce qu’aurait pu être une fusion de BLAME! et L’Habitant de l’Infini Si Nihei et Samura avaient abâtardi leur style afin de s’inscrire dans les canons du Shônen ambiant. Je n’ai pas été charmé au départ, mais il y a du caractère plein les planches. Et, à l’usure, sans coup férir, je me suis résolu à reconnaître que ces esquisses étaient finalement sympathiques. Je ne me plains que trop des dessins lisses et sans saveur du Shônen moyen, ce serait être franchement altier que de ne pas reconnaître la grandeur quand je l’ai sous les yeux. Ils deviennent vite somptueux pour ce qu’ils ont d’originaux et de brutaux ces dessins. Ça ne plaira peut-être pas à tout le monde, mais ça aura le mérite de nous changer de ce à quoi nous n’avons été que trop habitués ailleurs.


Savez-vous déjà ce qu’est un « PNJ Taverne » ? C’est un de ces personnages tertiaires qui a uniquement vocation à représenter une courte menace. Un peu à la manière d’un caïd qui entre dans un saloon pour faire des tas de cochoncetés et ainsi justifier que le protagoniste fasse des trous dedans. Dans la liste des fainéantises scénaristiques les plus intrinsèques au Shônen, ça figure aisément dans le top 10, derrière les ellipses et les Flash-backs. Et c’est avec ça que ça espère impressionner son lectorat. Qu’ils sont vilains ces vilains, à répandre vilainement la vilenie. Cupides, libidineux, inutilement menaçants et grossiers, ils suivent à la lettre les indications de cette narration grossière au point même d’en être vulgaire malgré elle. C’est comme s’ils étaient jetés de leur propre chef sur les épées venues les occire. De la tactique, de la technique peut-être ? Non. Rien que du métal tranchant qui fait « Slash » en traversant les os et les organes comme s’il s’était agi de beurre allégé.


J’aime quand ça commence vite, à condition que ça commence bien. Ares veut devenir mercenaire parce qu’il a lu un prospectus et rencontre par le plus pur des hasards un compagnon qui, lui aussi, partage les mêmes desseins. De là, les PNJ Taverne, à grands renforts de « Gnark Gnark Gnark », viennent poliment s’empaler sur leurs épées, et c’est ainsi qu’on s’imagine commencer une histoire qui promet d’être supposément prenante.


Il y a dans cet univers un mélange anachronique plutôt bien manié. Le contexte est pareil à un monde médiéval où les personnages sont habillés de manière contemporaine. Des habits modernes et qui, pour certains, trouvent le moyen d’être intelligemment imaginés pour ce qui est de leur design décontracté dans un contexte historiquement arriéré, partagé entre passé lointain et présent. Un mélange plutôt harmonieux et qui, sans l’ombre d’un doute, est tout droit inspiré de Ninku.


Les fringues sont intéressants, ce qu’il y a dedans, beaucoup moins. Ares est ce protagoniste de Shônen gourmand et bon enfant que l’on n’a que trop vu, mais en plus fade encore. Mickael, quant à lui, occupe le rôle horripilant du ténébreux de service. Avec option tige de bambou entre les lèvres. Ces deux-là, et le reste du cheptel par ailleurs – Baroona compris - ne sont clairement pas venus révolutionner la conception que l’on a des personnages dans les Shônens. Pas en bien en tout cas.

Le taciturne faussement classe est en plus héritier d’une nation. Il assumera sa sasukite aiguë jusqu’au bout en se faisant terrasser par le protagoniste dans un dénouement présumé tragique… si le personnage n’avait pas été aussi insipide.

Ils sont de toute manière plus forts que tout le monde et au-delà même du concept de vulnérabilité. Et quoi en face d’eux pour leur tenir tête ? Quelques cohortes de PNJ Taverne croisés avec de lemmings, venus le temps de mourir afin de nous rappeler que les protagonistes principaux sont au-dessus de tout ? Ils peuvent. Car après tout, ils sont maintenus en suspension par une intrigue qui ne les cajole que trop. À trop braquer les projecteurs sur eux, le reste se perd dans l’ombre d’une écriture bien mal soignée. La formule Shônen contemporaine suppose en effet qu’en matière de bon goût et d’originalité, tout doit disparaître. Il ne faut pas se laisser prendre par des dessins assez sombres dans les tons. Transposez ce qu’Ares a à nous offrir sur une planche dessinée par Hiro Mashima, vous verrez ainsi ce qu’il y a à voir, quitte à vous esquinter la rétine. Le dessin présente bien le mal ; on eut préféré un cas de figure inverse. Parce qu’une fois ceci considéré, on considère Ares pour ce qu’il est, un Shônen sans audace qui se donne des airs de crédibilité. Il en faut plus que des personnages avec des regards blasés et la clope au bec pour doter une œuvre d’une dimension sombre.


Parce qu’ils fument ces gens-là, croyez moi. Ils fument beaucoup. Et vous savez pourquoi ils fument ? Parce qu’ils sont cool. Vous l’ignoriez sans doute, mais la cigarette est vecteur de la cool attitude... entre autres pathologies anecdotiques. D’ailleurs on ne sait trop si c’est parce qu’ils sont cools qu’ils fument, ou si c’est le fait de fumer qui les rend cools. C’est le dilemme de l’œuf et de la poule en somme.


Peut-être avez-vous ressenti comme quelques émanations d’ironie enrobant mon dernier paragraphe. Qu’on ne se méprenne pas, je ne suis pas de cette vilaine engeance qui cherche à tout aseptiser en interdisant jusqu’à la présence de fumée dans les bar-tabacs, ou même l’apparition d’une simple cigarette sur une affiche de film. Je trouve le procédé infantilisant et grotesque. Mais le pendant inverse qui consiste, pour la seule finalité de la posture, à faire pendre une tige à cancer au bout des lèvres du tout venant pour mieux renforcer le côté adolescent rebelle, j’abhorre dans les grandes largeurs. Ces cigarettes sont si présentes qu’elles sont des personnages à part entière.


Le propos de cette petite litanie impromptue n’est pas de bannir la cigarette de la fiction, mais de rapporter un certain devoir incombant aux auteurs de fiction. Tsugumi Ohba et Takeshi Obata avaient, dans Bakuman, rapporté un cas où l’œuvre écrite par leurs personnages avait influencé un des lecteurs à commettre un acte délictuel. Un mangaka, surtout quand il écrit des Shônens pour un public masculin parfois très jeune, a une responsabilité alors qu’il exerce une force sur des lecteurs influençables. Forcer avec une telle insistance le côté poseur sublime de ses personnages en stylisant la cigarette à outrance, ça me paraît d’une part immature, et d’autre part inconséquent. Je suis peut-être un pisse-froid et, avoir eu trois décès relativement prématurés liés au tabac dans ma famille pèse peut-être dans le jugement que je porte présentement. Toutefois, j’estime qu’avant de chercher à rendre ses personnages cools avec une cigarette entre les lèvres, il faut déjà les avoir rendus cools sans avoir eu recours au moindre artifice. Mais fermons cette parenthèse qui méritait toutefois d’être ouverte en grand, ne serait-ce que pour évacuer la fumée.


Je vous ai parlé du PNJ Taverne comme facilité scénaristique et, à l’envolée, y est accolée l’infamie que constitue un Flash-back usé à la seule fin de densifier la trame. C’est chose faite dès le troisième tome et l’impéritie se poursuivra à l’occasion du tome sept. Le personnage principal, son passé tragique, le maître providentiel à la source de son pouvoir : y’a pas un grain de sel dans cette œuvre qui n’ait pas été mentionné dans la recette du parfait petit Shônen plat et sans saveur.


Comme pour ma critique d’Hannibal, c’est une requête de PARISTONU dont je m’acquitte. Il m’a dit qu’il aimait bien quand il était question d’un manga ou d’un anime qui traite de la guerre. Mais de guerre, ici, je n’en ai point vu ; rien que les entreprises individuelles au milieu du tumulte avec des figurants en armure situés derrière. Il y avait des joueurs, c’est entendu, mais d’équipes, je n’en ai vu aucune. Historie l’a pourtant démontré en nous narrant la tactique macédonienne ; il n’y a de place sur le champ de bataille pour aucun héros. C’est la coordination d’une armée qui fait tout. Les coups de glaives isolés d’un quelconque seigneur de guerre ne sont que résiduels dans l’effort de guerre. Et pourtant, ici, ces coups d’éclat atomisés autour d’une poignée de personnage constituent apparemment l’alpha et l’omega de chaque bataille menée. Oui, décidément, choisir « Ares » comme titre d’une pareille œuvre tenait de la profanation pure et simple.


Je comprends néanmoins ce qui plaît, c’est la scénographie qui, pétrie dans le dessin, paraît donner du relief à ce qui est pourtant résolument plat. Ça a de la gueule quand on le lit, mais une belle tournure sans rien derrière, ça excite sans susciter l’amour. Aries est au-dessus de la mêlée, je lui accorde ça, mais quand on sait que la mêlée est écroulée au ras du sol, il est difficile de le couvrir d’éloges à partir de ce seul prétexte. Ses dessins originaux et brutaux sont la colonne vertébrale même de l’œuvre. Ce n’est alors qu’à partir de la forme que se structure le fond.


Les batailles sont désespérément mimées à l’occasion, mais Ares et sa bande détournent bien vite le lecteur des véritables enjeux guerriers pour mieux se concentrer sur leurs combats à eux. Ares ressemble – en moins captivant – aux débuts de Kingdom, quand Shin n’était pas encore membre de l’armée et aidait Sei à contrer le coup d’état en cours. Passés les combats ahurissants, la tactique de guerre, d’abord à l’échelle du guerrier, puis plus tard à celle de l’officier, aura ainsi été abordée sous tous les angles. Mais pas ici.


Quand un homme seulement change le cours d’une bataille, ça n’est pas à la force l’épée. Ke-Ri a fait la différence par ses directives, pas en multipliant les cabrioles l’épée à la main. En des termes plus crus mais plus parlant, on dira que rétrospectivement, Ulysse encule Achille. Dans un contexte strictement hétérosexuel, bien entendu.


Si je souhaitais grandir l’œuvre, même sous une saucée de reproches, je la comparerais à Berserk. Mais du bout des lèvres seulement. Disons que louer Ares pour l’aspect guerrier de ce que l’œuvre a à proposer reviendrait à encenser Berserk pour les batailles du temps ou Guts était mercenaire. Des batailles qui n’ont alors jamais été conçues avec le moindre sens tactique en tête puisqu’elles avaient toutes vocation à mettre en valeur le premier cercle de la bande du Faucon. Ares est une appellation mensongère ; Héraclès eut été de meilleur effet eu égard à ce qu’on nous présent. Ce sont les bravades de quelques héros de guerre dont on suit les chroniques, mais certainement pas un conte qui fait honneur à la guerre en la relatant telle qu’elle est.


Quand la diplomatie s’en mêle, que les enjeux politiques sont enfin de la partie, tout cela, agencé autour d’un verbe abondant et stérile, ne sert finalement que de prétextes à une succession de batailles où ne s’illustreront que des héros au glaive scintillant et tranchant. Mais évidemment, ça ne sera pas vilain à voir, car la scénographie, toujours, sauve un fond carencé pour lui donner une substance qu’il n’a pas. Ce serait se bercer d’illusions que de voir ne serait-ce qu’un deuxième Kingdom dans ces planches.


Et cette manie qu’ont les protagonistes à courir après le chevalier aux yeux rouges. Pour l’avoir vu de près en ce qui me concerne, y’a pas de quoi se ruiner la santé à le courser...


Ares est un Shônen qui, par sa mise en scène et ses dessins, aura su se rendre moins horripilant qu’il ne l’aurait été autrement. La devanture, pour ce qu’elle a de qualitative, ferait presque oublier les nombreuses malfaçons dont est faite l’œuvre.

La fin s’accomplit parce qu’elle se devait de conclure. À la manière d’un étudiant qui, avec une minute devant lui à son examen, doit s'empresser de rendre sa copie, la conclusion, sans surprise, est lapidaire en plus d’être écrite sans idée neuve ou même la moindre conviction. « That’s All Folks » aurait été de meilleur aloi.


Non, Ares n’a pas été une affaire sérieuse, même si elle pouvait cependant tromper un regard trop peu vigilant. Les élans n’étaient jamais suivis des sauts et ce Shônen supposé atypique se sera avéré un Shônen classique controuvé ; celui-ci exprimant alors la même chose que le reste du troupeau, mais d’une manière suffisamment différente pour qu’on puisse croire que l’œuvre sortait du lot. De l’esbroufe très bien soignée, voilà tout. J’ai crié au bluff, vu les cartes qui révélaient le fond de l’intrigue, et constaté à quel point j’avais eu raison. À regret d’ailleurs.

Josselin-B
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le 12 mai 2023

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Josselin Bigaut

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