La fin d'un mythe
Même si le scénario est attribué à Jean-Michel Charlier, cet album de Blueberry est bien en dessous de ses prédécesseurs. L'intrigue est plate et surtout on ne retrouve plus le caractère...
le 23 sept. 2019
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BD franco-belge de Jean-Michel Charlier et Jean Giraud (Moebius) (1990)
La couleur était annoncée dès les dernières cases de l'album précédent : débarrassé de ses ennemis Kelly, Angel Face et Allister, innocenté de la disparition de l'or confédéré par le président Grant en personne, il ne reste qu'un seul démon de son passé avec lequel l'ex-lieutenant Mike S. Blueberry doit encore régler ses comptes : son "grand amour", Chihuahua Pearl.
Après avoir déjà dû laisser Chini entre les bras de Vittorio, il faut croire que notre héros jadis iconoclaste n'est guère plus tenté par le célibat, maintenant qu'il est libre comme l'air et plein aux as ! Quand on voit ce qu'il fait de sa liberté chèrement retrouvée, on se demande s'il n'aurait pas mieux valu qu'il reste au bagne… car le hic, dans toute cette histoire, et cela le lecteur le sait depuis La Longue Marche, c'est que la belle est déjà promise au millionnaire Stanton ! Mais ce n'est pas le genre de détail dont "notre héros" est disposé à s'embarrasser.
Et c'est ainsi que s'ouvre, en fanfare pourrait-on dire, l'album le plus controversé des aventures de Blueberry : par rien de moins que l'enlèvement de la mariée, en pleine cérémonie, par un Blueberry qui entre à cheval dans l'église.
Bon, par où commencer… franchement, ce n'est même pas une question rhétorique, je ne sais vraiment pas quoi dire. J'ai beau essayer de relativiser, de me dire que c'est son rejet des règles et des conventions qui a toujours défini le personnage, ça fait mal, ça fait très mal… le père Mike, je l'ai connu macho et tête de cochon, mais il n'a jamais enlevé de femme, point barre. Je veux bien que les coutumes navajos très "viriles" lui aient monté à la tête durant son séjour chez eux, mais on parle du même gars qui donnait son étoile de shériff à Miss Marsh après l'avoir injustement maltraité durant tout le tome 6, du même gonze qui s'excusait d'avoir failli coller une nouvelle torgnole à celle qu'il traite désormais comme un objet. "Sans peur mais pas sans reproches" d'accord, mais il ne faut abuser ni de l'un ni de l'autre !
Je sais bien aussi que Jean-Michel Charlier, comme écrivain, a toujours eu un problème avec les femmes, mais quand on voit qu'Uderzo publia La Rose et le Glaive un an plus tard, on se dit que les dinosaures de Pilote (Mâtin quel journal!) avaient bien du mal à comprendre la révolution féministe… la religion aussi, dans le cas de Charlier, puisqu'après avoir bombardé une mosquée dans le tome 18 de Barbe-Rouge, voilà qu'il fait entrer un cheval dans une église et interrompt un mariage. Pas de jaloux !
On ne peut pas dire que ça aille de mal en pis après cela, mais ça ne s'améliore pas non plus… tout d'abord, le design du personnage de Pearl ne s'est hélas pas amélioré depuis La Longue Marche : sa mâchoire volontaire, ses lèvres sensuelles, son regard mature et intense de la trilogie mexicaine ne sont plus qu'un lointain souvenir, remplacés par les traits aseptisés d'une midinette dont Blueberry pourrait être le père. Au moins une partie de sa personnalité est-elle conservée, qui nous permet d'éviter le viol en règles : la belle feint plus ou moins de succomber à l'audace du Roméo au nez-cassé pour mieux endormir sa méfiance et partir rejoindre Stanton… avant que Tsi-Na-Pah ne lui montre qu'il est au moins aussi riche que ce dernier.
C'est là cependant qu'au lieu de s'améliorer, les choses se gâtent pour notre ravisseur : il n'a d'autres choix que d'expliquer que son magot provient de l'or confédéré, dont Pearl a légitimement droit à une part. Après une séquence de cauchemar hilarante (Blueberry se rêve en éleveur aux cheveux gominés et Madame vient lui apporter son repas, qui cachent une tête de Stanton parmi les pommes rissolées… non non, je n'invente pas, c'est à se demander qui cauchemarde, MSB ou nous), l'ex-star de la Casa Roja décide finalement de se tirer avec le fric, direction New-York ou l'Europe, laissant son futur-ex-mari numéro 2 seul dans le désert, à la merci de son futur-ex-mari numéro 1.
Stanton n'est pas long à lui mettre la main dessus, et lui assène une correction bien méritée. Curieusement, le sort de Blueberry émeut certains des gros-bras engagés par Stanton, qui finissent d'ailleurs par se retourner contre leur employeur lorsque Mike leur promet une part du butin dès qu'ils mettront la main sur Pearl. C'est donc au tour de Stanton et de son homme de main Traber de se retrouver seuls dans le désert. C'est sans doute la seule séquence vraiment amusante de l'album.
Dans la bonne ville de Yuma, Pearl ne tarde pas à s'attirer les ennuis face à Chuck, sorte de Richard Kiel de l'Ouest, lui-même à la solde d'un escroc à mi-chemin entre Wayne Newton et Patrick Sébastien. Ces aléas valent à la belle d'être conduite au bureau du shérif (lui-même inspiré par Lee Van Cleef, comme c'est original) qui croit la tête de Blueberry toujours mise à prix, puisque cela ne fait guère qu'une semaine depuis les événements du Bout de la Piste. Une fusillade s'ensuit, personne ne meurt mais les ex-hommes de main de Stanton sont arrêtés et Blueberry, qui accuse le coup du placage de Pearl, se retrouve libre de picoler dans les rues.
Entretemps, Stanton et Traber sont parvenus à atteindre Yuma. Ils coincent Pearl avant qu'elle ne prenne le train mais elle joue de son charme pour retourner son premier futur-ex-mari (enfin, deuxième si l'on compte feu Trevor des tomes 13 à 15), ce qui agace passablement Traber. Nouvel échange de tirs, toujours aucun mort (quand je vous dis que je ne suis pas sûr qu'il s'agisse bien d'un album de Blueberry…) mais Stanton est grièvement blessé. Pearl prend soin de lui et les tourtereaux s'envolent bientôt vers San Francisco la civilisée, Blueberry se contentant juste de récupérer son fric, non sans avoir sauvé la peau de Pearl et Stanton en neutralisant Traber, avant de chevaucher vers le soleil couchant.
Retour à la case départ, en somme… je ne vais pas vous mentir, ce n'est pas une si mauvaise fin que cela. Mais cela ne rachète pas le concept de départ de cet Arizona Love, qui est totalement répréhensible. Si Pearl avait rejeté son ménage avec Stanton de plein gré avant de réaliser qu'elle n'est pas faite pour une vie de bohème tandis que Blueberry arrive à la conclusion inverse en ce qui le concerne, on aurait pu avoir quelque chose de potable. Mais les premières pages laissent un sale goût dans la bouche, que ni les passages amusants avec les gros bras ni la fin ne peuvent laver si facilement.
Ça me fend le cœur que ce soit le dernier scénario sur lequel ait travaillé Jean-Michel Charlier pour cette série. Alors certes, il est décédé en cours d'élaboration donc il est difficile de savoir jusqu'à quel point il a travaillé dessus, mais l'idée de l'enlèvement en plein mariage est forcément de lui. Pas très inspiré, sur ces vieux jours… Jean Giraud ne l'est pas beaucoup plus, car au-delà du simple personnage de Pearl et à l'exception de quelques plans aériens et scènes d'orage, son dessin est bien fadasse, pas même rehaussé par les couleurs ultravives des quatre tomes précédents.
Bref, ce qui devait faire entrer Blueberry de plain-pied dans la modernité des années 90 s'est transformé en un album à oublier. Les arcs de l'or confédéré et du complot contre Grant s'était achevés de manière un peu bancale, mais celui de Chihuahua Pearl se termine carrément en eau de boudin. Dieu sait si le personnage méritait pourtant mieux que cela !
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Créée
le 26 mars 2019
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