Plutôt sympathique
Prenez un peu de Ghibli un peu de Godzilla, mélangez le tout et vous obtenez Asadora. Ne vous méprenez, nous ne sommes pas sur quelque chose du niveau de Ghibli. Mais la lecture reste, jusqu'à...
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le 16 oct. 2020
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L’héroïne est pure, on lui trouve l’honnêteté gravée sur le visage, un visage de jeune fille volontaire, impétueuse, grave mais altruiste. Celle-là, elle a le regard résolument tourné vers l’horizon, un qui lui est acquis. D’elle, émane le courage, l’abnégation… l’ennui. Kanna fut un prototype de cette Mary Sue à la nippone (Marizukawa?), ce personnage trop parfait pour qu’on y croit, trop parfait pour qu’on y adhère, trop parfait pour qu’on doute de ses échecs ; trop parfait pour qu’on poursuive avec elle une lecture longue de plusieurs années de parution. Et la couleur nous est annoncée en noir et blanc dès les premières pages. Rien ne la fait vaciller, Arisawa ; pas même l’exaspération des lecteurs qui se font témoin de ses constantes prouesses.
Le docteur Kenzo Tenma était vulnérable, faible ; c’est d’une adversité à l’autre qu’il aura entrepris son douloureux sacerdoce et ce, sans trop savoir qui de lui ou de son périple achèverait l’autre. Avec Asadora, le doute n’est plus permis ; il est même proscrit : elle parviendra à ses fins, Shô-chan sera médaillé d’or aux J.O sans avoir pourtant été sélectionné. Et je vous dis ça sans que le dernier chapitre ne soit paru à l’heure où j’écris ces lignes.
Urasawa a toujours eu cette tendance à créer de ces personnages qui se causent spontanément comme s’ils avaient été des amis d’un siècle au moins. Mais cette propension ce sera nettement accentuée dans ses dernières œuvres. Tout ce qu’on y lit nous saute aux yeux comme un ramassis d’intrigue gentillette et naïve, convoyée et portée par une série de personnages niais et insipides. Quand on sait de quels protagonistes est parti l’auteur du temps de Monster, tous ayant marqué les pages de leur caractère et de leur présence, le gouffre qui sépare des personnages d’Asadora! paraît abyssal lorsqu’on observe ce qui les sépare en terme de prestance et d’authenticité.
Les dialogues sont au diapason du reste, recherchés et mignards, comme si le lectorat à qui ils furent attribués se tenait à un public de nourrissons qu’on se devait d’abreuver désespérément de tout ce qui se faisait de plus faux et doucereux. Bienvenue dans le monde irréel de Naoki Urasawa où même le plus bas criminel a les meilleures intentions du monde à cœur et de la bonne volonté à revendre.
Cette affection que peuvent avoir les ââârtistes pour les crapules de bas rang, ce regard bienveillant en diable qu’il leur adresse, au seul prétexte qu’ils soient pauvres – donc tenus pour irresponsables de leurs actes, ceux-ci étant imputables à la société™ – ne cessera jamais de me débecter. Tout est si propret dans ses œuvres récentes que c’en devient malhonnête et honteux. Dans les faubourgs qu’il nous dessine, on y trouve Jean Valjean à chaque coin de rue. Ça allait bien au teint d’être hugolien au 19e, quand la pauvreté y était aussi dramatique qu’endémique. Mais à présent qu’une opulence au moins relative sévit dans les sociétés dites avancées, la thèse ne tient plus. Et pourtant, il se trouve encore des couillons pour s’y cramponner. C’est d’ailleurs l’œuvre insigne de l’un d’eux que l’on lit avec Asadora!
Ici, tout le monde a des rêves, et chacun les atteindra parce que le monde et juste et, qu’avec un peu de bonne volonté, tout est possible. Il paraît.
Peut-être dans le monde sirupeux et étincelant de Naoki Urasawa, là où tout est possible mais plus rien ne vaut la peine d’être lu. Navré de tout ramener à Monster, c’est injuste de mettre sans cesse sous le nez d’un homme son opus dei, mais son récit d’alors nous saisissait en un chapitre de temps. Lire Asadora! ; le subir, même, c’est accuser la certitude que l’auteur a très méchamment régressé, étape par étape, jusqu’à ne plus rien avoir à nous offrir scripturalement parlant. C’est mièvre, c’est vide, y’a pas de cap orienté vers une destination un tant soit peu sujette aux promesses exquises : rien que du rien, et pour un rien.
Un avion. Ce rien de lecture pour une histoire d’avion. Pas une bonne en plus. J’ai l’impression de relire page après page – mais en moins bien – tous les éléments d’intrigue de 20th Century Boys. La narration est un calque, pas une feuille de route. Il y a des variations, mais dans les grandes lignes, qui tendent à devenir de plus en plus grasses et épaisses chez Urasawa, on relit une formule que l’auteur a appliqué à ses précédentes œuvres, à l’exception de Pluto qui était un cas à part.
Et, manifestement à court de carburant avant même de lancer la machine, Urasawa, dans sa boîte à idée, nous sort Godzilla pour espérer susciter l’intérêt du lecteur. Quand t’en es à convoquer les Kaijuus pour que l’intrigue gagne en épaisseur, c’est en principe l’heure de fermer boutique. Je vends pas la peau de l’ours avant de l’avoir tué ; l’ours s’est pendu et dépecé sous mes yeux une page après l’autre le temps de ma lecture. À ce stade, je dis ce qui est, même si ça fait pas franchement plaisir d’avoir à le reconnaître.
Tous les personnages – car Urasawa en distille toujours par centaines dans ses œuvres, c’est une marque de fabrique qui a fait son temps – sont caricaturaux au possible. L’écriture de ce qui les constitue tient à présent sur un timbre poste. Ah je sais bien que je devrais pas en appeler à Monster au moindre paragraphe qui me vient… mais quand on sait ce qu’étaient les protagonistes d’alors… ça la fout mauvaise. Y’en a pas un ici venus vous titiller un sentiment de sympathie.
Et Asadora qui réussit à faire atterrir un avion sans expérience préalable à quoi… six-huit ans ? Vous voudriez qu’on en parle, hein ? Eh bah on n’en parlera pas. Rien que mentionner cet événement est suffisamment infamant pour qu’il ne soit point besoin d’en rajouter.
La suite est téléphonée et sans appel ; il va falloir faire son affaire à Godzilla. La phase de recherche, les blablas interminables visant à définir ce qu’il est ou ce qu’il n’est pas, ne seront que de longs préliminaires dispensables pour ne pas entrer dans le vif du sujet. Je n’ai rien contre le fait de prendre son temps pour faire monter la tension, mais à trop chauffer le soufflé, on a vite fait d’en faire une tarte.
Serait-ce trop enterrer Naoki Urasawa que d’évoquer son dessin ? Sa patte est on ne peut plus distincte. Je me suis lancé dans ma lecture sans même savoir qui était l’auteur du manga que je déflorais et, à la première case, je savais à qui j’avais affaire. Mais ses traits ont perdu en fermeté sur le papier et, oserais-je l’écrire… perdu en rigueur. Sans que ça ne vire non plus au cartoonesque, il y a une forme de relâchement dans le trait, pour exhiber aux lecteurs des apparats plus légers, comme une chemise ouverte. Une chemise portée est une chemise me direz-vous, mais que vous fermiez les boutons jusqu’à la gorge ou que vous la laissez ouverte aux quatre vents, l’effet affiché ne sera alors pas le même.
Il va de soi que ce « relâchement » est délibéré. Naoki Urasawa a en effet communiqué dans la presse avoir voulu une jeune fille comme protagoniste, car il avait le sentiment qu’un homme adulte, sous ses crayons, s’orientait inexorablement vers une intrigue plus noire. Il a fait le pari de la légèreté. Tout ce que j’ai ici à lui reprocher n’est pas le fruit d’une erreur malencontreuse, mais d’un parti-pris délibérément réfléchi. Il a voulu, avec Asadora!, faire pareil, mais autrement. Le paradoxe prête ainsi le flanc au loupé.
Parce que ça décolle pas, Asadora!. Ce monstre dont on montre sans cesse la même photo afin de faire monter la pression devient lassant plutôt qu’intriguant et lorsqu’il se dévoile enfin, ce n’est finalement pour ne rien nous suggérer. Même avec un récit manié d’une main de maître – Urasawa reste Urasawa – une transposition d’un Blockbuster Américain sur un manga, quand bien même on tente de le draper de quelques airs sérieux, ça reste foncièrement indigeste. On a le sentiment qu’à chaque nouvelle publication qui lui vient, Naoki Urasawa se lance dans la suivante sans y avoir réfléchi. Puisse l’affaire Asadora! Se conclure rapidement, que son auteur s’accorde quelques années de repos s’il le faut afin de pouvoir à nouveau secréter un contenu viable, nouveau, prenant et audacieux. Autant de choses que ne sont pas Asadora!.
Créée
le 16 nov. 2024
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