Tout ce dont a besoin un bon Shônen (le groupe nominal fait presque office d'oxymore depuis le temps), c'est d'un postulat de départ prometteur et engageant. L'idée est là. Des élèves ont deux ans pour assassiner une entité apparemment invincible leur faisant office de professeur pour la période. Simple, clair, concis, efficace même un brin excentrique. Les prémices d'Assassination Classroom ne constituent pas une idée mais une bonne idée.
Ce haut-fait - car rares sont les Shônen à partir du bon pied - constitue en principe une première étape. Pour Assassination Classroom, cette première étape constituait aussi son unique propos et sa seule finalité. On pouvait dès lors réduire l'œuvre à son idée de départ sans jamais que celle-ci ne fut développée. Nous avons devant nous la toile, les pinceaux, la palette de couleur et même l'artiste ; toutes les dispositions sont prises mais rien ne se fait. L'embryon, c'est une chose, mais que la gestation se poursuive jusqu'à parvenir à quelque chose - fut-ce une fausse-couche - me semble relever de l'ordre naturel des choses. Malheureusement, passé le premier chapitre, le temps reste comme en suspens jusqu'à l'arc final n'étant en finalité que suite logique et sans surprise d'un processus d'évolution de la trame qui n'a même pas pris la peine d'exister en premier lieu.
Dire du sujet principal - et central - d'Assassination Classroom qu'il a été mal développé revient déjà à se fourvoyer. Cette bonne idée de départ n'a pas été traitée du tout. Les connexions liant le premier au dernier chapitre sont une suite de digressions perpétuelles ; des parenthèses dans le récit qui se présentent comme le récit. L'Histoire d'Assassination Classroom est une suite d'incises dans l'Histoire d'Assassination Classroom. De quoi nager en plein paradoxe. Nager la brasse. Car brasser, c'est malheureusement tout ce que Yûsei Matsui parvient à accomplir à compter de cet instant.
Orienter ce titre prometteur - et encensé - vers ce qui s'apparente à un format de compilation d'histoires courtes vaguement reliées entre elles sans que le lien logique ne soit évident, ça peut se rattraper. À condition de s'en donner les moyens et d'agir à temps.
Or, si à aucun instant on ne considère être dans l'erreur, on s'y fourvoie naturellement. Espérer quelques personnages intéressants pour au moins correctement mettre en scène la chienlit eut été un plus. Un incontournable en réalité. Quand l'exposé, en dépit d'une introduction aguichante, est loupé dans les grandes largeurs, que le dessin n'a vraiment rien pour lui (c'est en dessous de la moyenne de ce qui se fait en la matière), il faut au moins de quoi se rattraper au niveau de l'originalité ou des personnages. Nous n'aurons droit ni à l'un ni à l'autre. Les personnages du manga seront livrés sans relief ni consistance donc, sans intérêt aucun. Usinés en cube à force d'avoir été étriqués dans les petites cases à partir desquelles l'auteur les a conçus, ils n'apporteront rien au support qu'ils occupent si ce n'est l'abysse à l'abîme. Pire encore - car infamie rime avec infini - les personnages secondaires seront tant dépourvus de matière qu'après avoir été absents de la scène plusieurs chapitres, j'en avais oublié jusqu'à leur rôle, leur nom et même leur existence. N'ayant pas été diagnostiqué avec un Alzheimer précoce, j'ai bien peur que la faute n'incombe à l'auteur. J'en attendais plus de la part de personnages de Shônen et c'est dire si je mettais déjà la barre très bas.
Et comme si cela ne suffisait pas, l'auteur nous présente compulsivement de nouveaux protagonistes sans que nécessité ne fasse loi. La maladresse s'ajoute à l'incurie. C'est d'autant plus dommageable que l'auteur aurait au moins pu se donner la peine de présenter tous les élèves de la classe et les mettre chacun sur le devant de la scène ne serait-ce que pour un chapitre seulement. Développer une classe de quarante élèves, ça paraît le bout du monde, mais il y a eu des précédents en la matière. Des bons qui plus est. Cette introduction continuelle et irréfléchie de nouveaux personnages traduit un sentiment de bougeotte qui n'advient qu'au détriment d'un cadre stable et clairement posé capable de se reposer sur ses propres ressources plutôt que de perpétuellement chercher à en glaner de nouvelles. On renouvelle sans rien développer puisque tout est justement sujet à être systématiquement chamboulé.
L'humour ne prend pas et l'originalité est aux abonnés absents. Les recours s'amenuisant à peau de chagrin, il s'en faut de peu avant que le lecteur n'aboutisse à la conclusion qui s'impose très tôt dans le récit : il n'y a rien ou en tout cas pas grand chose pour rattraper la catastrophe.
Belle occasion manquée, une de plus, le postulat de départ supposait que les élèves s'en remettent à un sens de l'astuce particulièrement poussé afin de venir à bout de Koro-sensei. Des pièges, des stratégies retors, une sorte de mélange entre Kaiji et Golgo 13 ; de quoi stimuler l'intellect du lecteur à chaque chapitre... tout ça, nous pouvons aussi bien nous le mettre au cul. Manquer une occasion, ça se pardonne mais sans cesse viser à côté de ce qui aurait pu se faire de bon, j'y vois, à terme, comme un gage de mauvaise volonté.
Ce format quasi épisodique d'arcs courts rattachés à une intrigue globale (et encore, si peu) n'aide certainement pas à s'impliquer. Les leçons de cette Classroom - car il s'agit d'un contexte estudiantin malgré tout - se limitent à l'énonciation de banalités et autres généralités affligeantes plus ou moins en rapport avec l'enseignement. Une école où l'on n'apprend rien de nouveau ; le propre du Shônen d'aujourd'hui.
Tant au niveau du dessin que de l'inconsistance, le manga m'a rappelé Reborn à ses débuts. Bien qu'il m'en coûte d'écrire ce que je m'apprête à rédiger au point où mon clavier manque de me brûler les doigts tant je répugne à noter cela.... mais les premiers tomes de Reborn valent mieux que ça. Considérant ce que j'avais écrit à son propos, si même cette référence d'impéritie survole - de peu, j'en conviens - ce que je lis ici, la débâcle est à espérer. Je vous parle du naufrage intégral, celui duquel on ne revient pas.
Je vous passe les vieilles-lunes du scénario Shônen. En fait non. À la clé du semblant explicatif de la trame, ENCORE une histoire d'expérience secrète, un long Flash-Back précédant les événements de conclusion afin de tout délivrer tout-cuit au lecteur, les bons sentiments mielleux, des larmes factices et une fin où tout le monde trouve son compte de la manière la plus cliché possible sans qu'en réalité aucun personnage n'ait évolué du premier au dernier tome. Admirable de consternation jusqu'au bout.
Rien de bon n'est à extraire de ce manga en dehors de l'idée originale immédiatement laissée à l'abandon. Et pourtant, je n'en veux pas à son auteur. En vérité, je n'ai pas l'emprise nécessaire pour lui en vouloir.
Assassination Classroom ne vise pas loin et n'a qu'une ambition de courte vue ; pour cette raison, il surpasse la plupart des Shônens qui se font depuis dix à vingt ans. Lui, suit le parcours qu'il s'est dressé. Le chemin à suivre ne mène pas bien loin, mais nous assure de parvenir à destination sans se perdre en route. Le potentiel latent de l'œuvre est faible mais exploité dans son entièreté. Sans prendre de risque sur le plan de la narration, l'auteur ne se risque pas de ce fait à céder aux mille-et-uns poncifs Shônen et à abâtardir le manga qui avait su séduire son lectorat en l'orientant vers un sentier qui n'aboutit qu'à un cul-de-sac. Ce n'est pas glorieux de tresser les couronnes d'un Shônen qui s'accepte comme mauvais d'emblée et s'assume comme tel ; c'est cependant le meilleur moyen de ne pas décevoir en se dotant sur le tard d'une ambition narrative incompatible avec l'offre scénaristique des débuts et qui finira de toute manière par devenir une resucée crapuleuse du même script rejoué en boucle par ses concurrents. Mes critiques en sont garnies. J'aime lire un auteur qui sait ce qu'il fait quand bien même il ne le ferait pas divinement bien. Un artisan au talent modeste vaudra toujours infiniment plus que le plus habile des contrefacteurs.
Assassination Classroom, c'est pas le Pérou, mais c'est fait main. Rien que cela suffit à me rendre l'auteur respectable. Lui a conscience des limites de ce qu'il a à offrir mais nous délivre ce qu'il nous a promis. À défaut d'être talentueux, Yusei Matsui est un auteur honnête. Ce qu'il m'a proposé avec son manga ne m'a pas plu. Toutefois, nonobstant mon déplaisir assumé, je ne puis, contrairement à bon nombre de Shônens publiés aux alentours de la même décennie, asséner que le matériau soit mauvais (bien que ce ne soit pas terrible, ne nous voilons pas la face). Le manga a ses limites mais pas le culot de prétendre les outrepasser. D'autres que lui - beaucoup d'autres - ont fait montre de cette arrogance dans le milieu, cela s'est très vite fait ressentir à la lecture. Matsui ne ment pas sur la marchandise et ne la présente pas autrement que comme ce qu'elle est depuis ses débuts. Alors je l'honore comme je le ferais d'un dessin de maternelle que j'afficherais sur le frigo car je sais qu'il s'agit du summum de ce que son auteur peut créer. Il n'a pas donné grand chose, mais il a tout donné.
Plus honorable encore, Matsui a choisi de clôturer son manga là où il aurait pu artificiellement maintenir sa créature en vie sur vingt volumes encore (le succès était encore largement au rendez-vous). Fidèle à sa parole donnée, il s'en tient à ses engagements et remballe lorsque l'heure est venue. Il avait annoncé à compter de quel instant se terminerait l'aventure, il s'y est tenu.
Parce que je croyais que la probité n'était plus qu'un sujet de blague parmi les auteurs de Shônen, je tiens à saluer bien bas ce rare cas de prud'homie, quand bien même le sujet inhérent à cette dernière n'est pas des plus reluisants.
Assassination Classroom une œuvre qui n'a rien pour elle si ce n'est un auteur honnête. Je ne peux lui souhaiter que le meilleur pour ses prochaines compositions.