Depuis la reprise de la série par Ferry et Conrad, nos amis gaulois avaient une sacrée gueule de bois. La disparition de René Goscinny avait déjà très sérieusement entamé la qualité des albums même si Albert Uderzo s'était toujours efforcé d'entretenir le mythe qu'ils avaient créé. Mais, à l'image de ses derniers opus en solo, l'esprit n'était plus trop là. Et autant le dire très clairement, avec Jean-Yves Ferry et Didier Conrad, on avait vraiment en main une contrefaçon si mal dissimulée qu'on avait envie de remercier Hergé d'avoir réussi à empêcher la reprise de son Tintin et de maudire ce pauvre Uderzo de n'en avoir pas fait autant. Avec La Fille de Vercingétorix paru en 2019, la coupe (pas de potion magique) était vraiment pleine, il fallait vraiment arrêter les dégâts.
La sortie de cet album sonnait ainsi comme une dernière chance. Soit Jean-Yves Ferry parvenait à proposer un scénario qui tienne la route et des gags qui fonctionnent, soit le duo pouvait laisser tomber l'affaire. Si le début de l'aventure est un peu abrupt, force est cependant d'admettre que cet album est, de loin, leur meilleur. On retrouve enfin des bulles amusantes, une histoire intéressante (à défaut d'être vraiment palpitante) car novatrice, un langage à double-sens, des jeux de mots, du fond, un écho malin à l'actualité et de très nombreux clins d'oeil plutôt bien venus. La place des femmes dans la société, les réseaux sociaux, les scientifiques, les adeptes des théories du complot, cet album balaye de nombreux sujets brûlants avec une certaine ironie qui rappelle les grandes heures d'Astérix. Bien entendu, Ferry n'est pas Goscinny, mais tout cela est plein de générosité et mérite l'indulgence lors de passages moins pertinents. Le dessin, quant à lui, reste dans la veine des derniers Uderzo.
Bien entendu, cet album n'a pas le génie d'une série qu'on ne retrouvera plus jamais comme on l'a connue. Cependant il renoue au bon moment avec une qualité qu'on croyait à tout jamais perdue. C'est amusant, bien conduit, riche en petites trouvailles et surtout à nouveau délicieusement malicieux. Pour une fois depuis bien longtemps, on n'a pas l'impression d'avoir juste le plaisir de retrouver nos héros pour une aventure que nous ne connaissons pas. Nous sommes en présence d'un opus très imparfait certes, mais emballant et qui donne, plutôt que l'envie de vite se replonger dans un vieil album, d'attendre le suivant avec un peu moins de crainte. Pourvu que ça dure !