Critique de Stéphane de AAAPOUM pour les Inrockuptibles
C’est l’histoire d’un robot qui voulait être plus humain que les hommes. Ou celle d’un Pinocchio du futur alimenté à l’énergie nucléaire et chargé de convaincre un pays dévasté par deux bombes des bienfaits potentiels de l’atome, jusqu’alors source de malheur. En 1952, Astro, le petit robot, vient à peine de naitre qu’un lourd destin pèse sur ses épaules d’enfant métallique.
Osamu Tezuka, son créateur, n’avait que 17 ans lorsque son pays doit rendre les armes, en 1945. Trop jeune pour porter les responsabilités de la guerre et des deux bombes atomiques, assez mature pour en mesurer les conséquences, il construit dès lors sa carrière et son œuvre comme une ode à la défense de la vie sous toutes ses formes. Le souvenir de la guerre et de ses excès de violence, dans les comportements guerriers comme dans le processus de soumission après la reddition, lui inspire un modèle singulier de héros : un archétype de justicier qui refuse d’éliminer ses adversaires, pour au contraire les sauver et les réintégrer au sein de l’humanité. Précurseur en la matière, Astro son petit robot va ainsi modeler la ligne philosophique du manga d’aventure pour les décennies suivantes.
Sa première mission devait cependant le conduire à l’échec : inventé par un ingénieur de génie pour pallier la mort de son fils, Astro est rapidement abandonné par ce père incapable de surmonter le deuil. Recueilli par un cirque, il est ensuite adopté par un autre scientifique qui prend la mesure de sa puissance et lui inculque les valeurs de l’humanité. Là encore, peut-être sans le savoir, Tezuka inscrit dans ce contexte l’un des fondamentaux du héros de manga contemporain, qu’il s’appelle Sangoku, Akira, ou même Naruto. Le Japon, pays en proie aux doutes quant à son impérialisme passé, ne devait enfanter que des orphelins, conscients de leur hérédité dangereuse comme du devoir de la transcender.
Ces valeurs fondatrices concoururent à transformer rapidement ce qui n’était, de prime abord, qu’une merveille de technologie, en une pièce maîtresse de l’histoire culturelle japonaise. Astro, devint peu de temps après le premier héros de série animé télévisée, l’icône la plus célèbre du manga, et l’ambassadeur rassurant d’un archipel désormais pacifique et sans arme. L’anthologie des éditions Kana fait preuve d’une grande intelligence dans la sélection des histoires. Voilà de biens agréables conditions pour découvrir ce morceau de patrimoine équivalent, en terme de valeur, à notre franco-belge de Tintin