Atchoum !
6.9
Atchoum !

Manga de Naoki Urasawa (2019)

Atchoum ! c'est le titre qui forcément figure sur la première de couverture et "A tes souhaits" c'est le texte de la bulle BD sur la quatrième de couverture (au dos du livre donc).
Le titre ne désigne pas une des histoires du recueil. Il coiffe l'ensemble, mais il ne se rattache pas à un contenu développé ici ou là. Le "Atchoum", c'est un peu dire que les histoires sont comme des éternuements, des manifestations de vie de l'auteur, mais un éternuement c'est bref, ça dérange, ça fait rire, et cela s'oppose aux séries longues, et donc on a une petite série de ces expectorations soudaines de l'auteur. Et quand on éternue, on dit souvent aux gens "A tes souhaits", effectivement, et c'est vrai que quand on lit ces histoires on voit aussi poindre pour plusieurs d'entre elles l'idée que l'auteur a plusieurs rêves qu'il veut exprimer. Il se met lui-même en scène dans quelques histoires.
Ce recueil est publié dans un grand format avec une jaquette pliante toute jaune. Sur la page de sommaire, on a droit à une petite explication du mot japonais "kushami" qui sert de titre à l'œuvre originale et qui se traduit "éternuement". Il s'agit bien d'insister sur le profil court des récits, mais l'accent est mis également sur la déformation, donc sur un propos de gentille caricature humoristique dans les portraits. D'ailleurs, il y a trois grands portraits de visages en train d'éternuer, celui de la petite fille sur la couverture de la jaquette, celui de la jeune femme sur la fausse page de couverture, et si on écarte la jaquette la couverture cartonnée vous offre le visage d'un vieux chauve.
Sur 200 pages, nous avons 8 histoires flanquées de quelques commentaires finaux. Par exception, la dernière histoire "Solo Mission" publiée dans une revue française se lit dans le sens occidental, il convenait qu'elle soit la dernière du recueil, car elle se lit en remontant les pages, de la 188 à la 181. En clair, vous lisez dans le sens japonais jusqu'à l'avertissement de la page 179, et respectez-le pour ne pas lire la chute de la nouvelle publiée en France. Page 179, vous retournez votre volume, vous allez à la page 188 et vous lisez jusqu'à la page 181. Puis, il vous reste à lire les commentaires, vous "retournez à nouveau le volume" (si on peut dire, et sans éternuer s'il vous plaît), et vous lisez la postface des pages 191 à 193.
La nouvelle publiée en France est toute en couleurs. Les premières pages de la première histoire sont également en couleurs. Donc, le début et la fin du livre sont en couleurs, mais le milieu aussi est en couleurs si on peut dire avec une histoire commentée par Urasawa comme occidentalisée qui est elle aussi toute en couleurs : "Henry et Charles" où il imite les séries Looney Tunes ou sitcoms de son enfance, un peu de "Tom et Jerry" ou de "Ma sorcière bien-aimée" selon ses propres dires en postface. Le deuxième récit "Vise la Lune !" commence lui aussi par quatre pages en couleurs, puis le septième "Le Royaume des kaiju" débute par quatre pages couleurs, mais enchaîne encore par quatre pages mêlées de tons rouges avant de passer au noir et blanc.
Trois récits sont tout en noir et blanc, mais ils sont les plus particuliers de l'ensemble. Ce sont trois récits personnels, autobiographiques. En troisième position, le récit "Les Vieux gars" parle d'un groupe d'amis musiciens qui inclut Urasawa. Le titre est disposé sur des lignes de solfège (je ne sais pas comment on dit) et le cadrage est éclaté. Sur les deux premières pages, des lignes tracées à la main assez irrégulières séparent les dessins, c'est juste un trait qui sépare les dessins, il n'y a pas ces blancs qui espacent les dessins. Cela accentue le côté bd intime ou bd journalistique satirique. La destruction des cases s'aggrave sur les quatre autres pages de ce court récit autobiographique. A grands coups de blagues chargées d'autodérision, l'auteur raconte son amour d'amateur pour la musique et sa présence perdue au milieu du public à des concerts de Mc Cartney et Bob Dylan, en soulignant que la vieillesse est pas mal étendue au public de ces artistes. Urasawa constate de manière amusée que depuis quelque temps Bob Dylan joue du piano et ne touche plus une guitare, c'est l'occasion d'une anecdote humoristique que je ne dévoile pas ici. Il faut dire, par ailleurs, que Bob Dylan, très réputé dans les années soixante, a moins assurée dans les trente années qui ont suivi, mais dans les années 2000 ses albums sont de nouveau plus appréciés, plus estimés.
Le cinquième récit s'intitule "It"s a beautiful day" du nom d'un groupe californien sixties et du coup de leur premier album clairement cité dans ce récit, puisque, sur la dernière page, Naoki Urasawa en reproduit la pochette et en fait un point de comparaison avec la vision qu'ils ont sous les yeux. Il existe énormément d'artistes sixties et même californiens qui m'attirent plus, mais leur premier album a eu son succès, et une de leurs chansons a été plagiée par le groupe Deep Purple sur l'album In Rock. La pochette de leur premier et meilleur album est assez estimée. J'ignore si Urasawa connaît la légende. Un bruit court qu'il existe un premier tirage de cet album avec une femme nue, mais je n'ai jamais vu quelqu'un exhiber cette pochette, c'est une légende urbaine. J'en parle, parce que le récit traite aussi de la sensualité et de l'érotisme du corps d'une femme nue, donc même si Urasawa n'a pas pensé à cette légende, c'est un petit plus de suggestion pour moi à la lecture. Urasawa attache une importance toute particulière à cette histoire. J'ignore ce que l'idée d'éternuement pourrait encore lui apporter symboliquement, mais ce récit a été inventé par un de ses anciens amis qui figure avec Urasawa dans les cases. Urasawa a trop tardé à mettre l'histoire en bande dessinée, et il en demande pardon à la mémoire de son défunt ami. Le récit a été inventé, sans doute dans la conception globale des effets, mais en même temps il a l'air de se fonder sur une anecdote suivie sans doute d'assez près. Cela raconte un épisode de la jeunesse d'Urasawa parmi un groupe de musiciens. Les compères assistent à un show d'une femme nue qui chante. Le morceau est la reprise de "Black Magic Woman" de Fleetwood Mac par Santana. La bande identifie le morceau comme étant de Santana, puisque cette version fut célèbre à l'époque, malgré la supériorité de l'original. Mais l'un sort le nom d'Alice Cooper, ses copains croient qu'il dit n'importe quoi, que ce n'est pas possible de confondre à ce point les styles, mais en réalité c'est pour le jeu scénique qu'il dit cela : la femme s'entoure d'un serpent. La scène a quelque chose de flaubertien, on pense à Frédéric et son ami au lupanar à la fin de L'Education sentimentale, car un gars s'enfuit en courant, et ses amis le suivent. Le lendemain, le long d'un canal, ils voient passer de loin la chanteuse qui pousse un landau, et l'un des gars dit qu'elle doit promener son serpent.
C'est à ce moment-là qu'ils ont une suggestion émue du plaisir de regarder le ciel, le paysage et la femme comme sur la pochette de l'album "It's a beautiful day". Je vous tais quelques détails.
Le sixième récit "Musica Nostra", par rapport à "Les Vieux gars", passe au niveau supérieur dans la destruction des cases d'une bande dessinée. Les deux premières pages, en accord avec le discours comique sur les contorsions et visages crispés des guitaristes quand ils font des solos non parce qu'ils sont inspirés mais parce qu'ils ont mal aux doigts, offrent des lignes tracées grossièrement à main levée qui ondulent, montent, descendent, un trait sur une bordure va trop loin. Tout est fait pour sonner faux, maladroit, tout est fait pour donner l'idée de quelque chose de tordu qui fait mal. Et les dessins sont pour l'essentiel une galerie de guitaristes en plein effort violent pendant leurs solos.
Sur les troisième et quatrième pages, la touche féminine apparaît, et on a une page avec plusieurs dessins mais sans lignes, puis la quatrième page, on en a juste deux pour insérer au centre deux "visages des guitaristes déformés par la douleur", mais au-dessus et en-dessous on a le féminin qui fait contraste. Sur les pages restantes de ce récit, l'auteur parle du plaisir de voyager en Amérique et d'assister à un concert, les lignes sont toujours des traits à la main, mais assez horizontales cette fois, il n'y a plus le côté tourmenté. Il y aurait d'autres choses à commenter dans les mises en page, ce récit étant pour la composition le plus original de ce recueil.
Dans cette histoire, l'auteur explique qu'il ne s'intéressait pas aux vidéos sur Youtube pour écouter de la musique, mais qu'il a pris goût aux vidéos de jolies filles qui jouent de vieux morceaux rock sixties ou seventies et exécutent mieux que lui et même sans douleur les solos des maîtres. En effet, son récit a été écrit à peu près quand effectivement les vidéos des "guitar girls" étaient très à la mode. Je vois la guitariste amateure à laquelle il pense quand il dessine la femme assise à formes plantureuses, celle debout aussi je crois identifier le modèle. Dans ses excursions autobiographiques, Naoki Urasawa ne se présente pas comme un mangaka célèbre, mais comme le tout venant fan de musique. Il bave d'admiration devant les idoles qu'il va voir en concert ou se sent impressionné quand il reçoit une réponse de Ringo Star au sujet d'un petit manga qu'il a fait sur les Beatles. On voit aussi que dans ces différents récits où il se met en scène il raconte un peu ses souvenirs, mais aussi des choses plus indirects, des rencontres de quelqu'un qui connaît un artiste important, et du coup il raconte les souvenirs que cette personne lui a raconté. Il y a toujours cette distance qui est mise, ce sentiment que le personnage est dans ses rêves, mais loin de les toucher. Mc Cartney et les Beatles ont décidément une grande place dans ses témoignages musicaux. Il est question aussi de Neil Young, un peu des Rolling Stones, sachant que "Jumpin' Jack Flash" fait un peu cortège à la chanson de T-Rex dans le manga 20th century boys. Les goûts musicaux de Naoki Urasawa sont beaucoup plus liés aux sixties qu'aux seventies. Il n'est ni dans le punk, ni surtout dans le rock progressif et le hard rock, même s'il parle de solos de guitare. Il cite vraiment les années soixante, le rock californien, les Beatles, le rock qui va de 1963-1964 à 1972-1973 en gros, la musique de sa jeunesse, celle qui a forgée initialement ses goûts. Il aime aussi les légendes (le concert des Beatles au haut du toit d'un immeuble, Woodstock). On peut aussi apprécier dans ses dessins où l'auteur croque des instants vécus sa capacité à dresser le portrait de personnages connus : Mc Cartney, Neil Young, etc.
On peut aussi observer que les deux récits autobiographiques aux cases revisitées se font écho et créent une note subtile : le premier accentuer l'idée de la vieillesse avec des artistes vieux, Bob Dylan, qui savent cependant garder la classe et un public âgé, avec le sentiment aussi de la douleur, de l'usure des doigts sur la guitare. Le récit du voyage à L. A. est plus lié à la nostalgie, à la féerie du désir qui veut ressusciter les choses à une échelle modeste pour soi, mais où le sentiment du temps est suspendu. Et pourtant, ça se passe aussi peu avant 2015. L'auteur ne dit pas en quelle année il est allé à LA dans son récit, mais le smartphone indique et les visages vieux indiquent que c'est assez récent. Mc Cartney est convoqué dans les deux récits. Entre les deux récits, il y a le récit dans le passé qui lui respecte la mise en cases classique du manga, et sa chute permet de comprendre peut-être un peu l'abolition du temps dans le troisième, surtout que le récit "It's a beautiful day" partage avec "Musica Nostra" la mise en valeur du pouvoir protecteur féminin.
J'ai beaucoup parlé de ces trois récits qui sont la partie la plus originale du recueil, mais qu'en est-il des cinq autres ?
Les deux premiers récits sont nettement dans la veine des thrillers pour lesquels il est connu, plutôt la veine 20th century boys que Monster. Le premier récit Damiyan, corruption du français Damien offre une création saisissante d'un portrait caricatural de personnage, le fameux Damiyan avec son t-shirt 666. C'est un récit sur un homme qui doit réapprendre les valeurs et la confiance avec une touche fantastique. Le second récit "Vise la Lune !" fait clairement écho à 20th Century Boys avec un vieux monsieur capable de prédire le futur. Le cinquième récit "Henry et Charles" se veut un pastiche de la manière occidentale, ou plutôt américaine des années 60. C'est bien fait, mais pas marquant. L'auteur dit que c'est peut-être son chef-d'oeuvre en l'avouant un récit pour les enfants, un pied-de-nez quoi ! Le récit publié dans une revue française "Solo Mission" vaut essentiellement pour sa chute : la bande finale de la dernière page avec les trois dernières cases, mais les pages précédentes me semblent manquer de quelque chose. Enfin, il y a une histoire exceptionnelle, c'est le récit "Le Royaume des kaijû". Le personnage principal, le héros même, est un otaku français et le récit parle des destructions répétées de Tokyo par les attaques de monstres géants du genre Godzilla. Le choix d'un personnage français permet une allusion en clin d'oeil au film français sur Godzilla avec Jean Reno si je ne m'abuse (je ne l'ai même pas vu ce film, mais je sais qu'il existe). Le choix du personnage français est très important également pour la chute avec ce qu'on découvre à la dernière page et dont je ne parlerai pas ici.
J'ai bien aimé cette chute, mais j'ai carrément adoré le projet de ce récit. On a un touriste français qui est en réalité un otaku, un passionné des vieux monstres géants des films japonais des années 50 et 60, mais ça part en délire complet. Il vient visiter les lieux détruits par le monstre et ces lieux existent vraiment, et le Japon subit encore des attaques régulières. Le héros prend des photos de quartiers dévastés. On croit pendant quelques pages que ce n'est qu'un rêve du héros français qui va être rappelé à la réalité. Avant de nous montrer les quartiers détruits, on nous acclimate progressivement avec les enfants qui vendent des écailles de monstres, sauf qu'évidemment il s'agit d'arnaques pour les touristes. Mais le récit qui fait un certain nombre de pages part complètement en délire de l'auteur. J'ai beaucoup aimé cette idée de tourisme dans un Japon fantasmé, cette idée de faire comme si les films avaient raconté ce qui se passait réellement et tout ce que cela présentait de possibilités de transpositions hallucinées de l'intérêt geek des occidentaux pour le Japon. Ce récit est la réussite du recueil pour moi.

davidson
7
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le 29 oct. 2020

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davidson

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