En 2004, la scénariste polonaise Marzena Sowa débarque dans le monde de la BD sur la pointe des pieds. Rapidement, elle se fait remarquer grâce à son ton particulier, parfois un peu trop didactique mais plein de sensibilité et de nostalgie. Avec "Marzi", une série autobiographique sur son enfance dans la Pologne communiste du début des années 80, elle parvient à séduire un grand nombre de lecteurs du journal de Spirou. Illustrées par son mari Sylvain Savoia, ces histoires pleines de charme et d’humour sur une petite fille de l’Est nous font voyager dans le temps à la découverte d’une époque à la fois proche et déjà très lointaine: celle du général Jaruzelski et du syndicat Solidarnosc, quelques années avant la chute du Mur de Berlin. Dix ans après la naissance de Marzi, Marzena Sowa nous raconte aujourd’hui un épisode beaucoup plus sombre et dramatique de l’histoire de la Pologne: celui de l’écrasement de la résistance polonaise par les Nazis. Avec "L’Insurrection", Sowa abandonne les couleurs vives de la série "Marzi" pour nous livrer un récit essentiellement noir et blanc, magnifiquement mis en images de manière presque expressionniste par Krzyzstof Gawronkiewicz, dit Gawron. L’histoire se passe au printemps 1944 à Varsovie, un an après l’écrasement du ghetto juif, à un moment où les Polonais n’imaginent pas encore qu’ils vont bientôt être débarrassés des Allemands… avant de se retrouver tout de suite après sous domination soviétique. "L’Insurrection" raconte l’histoire d’Alicja et Edward, deux amoureux qui semblent promis à un avenir heureux, mais pour lesquels on sent d’emblée que ça ne va pas forcément bien se terminer. Idem pour Krystyna, la soeur d’Alicja que tout le monde veut ménager à tout prix, et son futur mari Roman, qui s’occupe d’un journal clandestin. Alicja et Edward décident de rejoindre Roman dans la résistance au moment où un grand soulèvement se prépare. La fameuse Insurrection, qui constituera à n’en point douter le sujet principal du deuxième tome de ce roman graphique. Mais dans ce premier épisode, on n’en est pas encore là. Sowa et Gawron prennent d’abord le temps de bien planter le décor et leurs personnages. Loin du côté parfois un peu bavard de "Marzi", Marzena Sowa est ici dans un registre beaucoup plus sobre, mais toujours très juste, nous offrant une plongée bouleversante dans le quotidien des habitants de Varsovie. Malgré la guerre et la dévastation, ceux-ci tentent tant bien que mal de survivre. Certains n’y arrivent plus, comme ce commerçant inconsolable depuis la perte de son épouse adorée, qui a préféré rejoindre le ghetto plutôt que de voir son mari être arrêté par les Allemands. D’autres y arrivent mieux, comme ces jeunes gens qui s’amusent au bord de la Wisla le lundi de Pâques. La tradition de Smingus Dyngus veut que les gens s’arrosent mutuellement ce jour-là. Particulièrement les demoiselles car si elles ne se font pas arroser, elles resteront jeunes filles. Mais il ne s’agit que d’un petit intermède ludique au milieu d’un récit d’une grande intensité dramatique. Le calme avant l’orage, comme l’indique le titre du livre. "L’Insurrection" est vraiment une des toutes bonnes surprises de cette rentrée BD. Le scénario de Sowa est sobre et puissant, mais c’est surtout le dessin très élégant et particulièrement expressif de Gawron, qui marque les esprits. Le dessinateur polonais démontre ici toute l’étendue de son talent.
matvano
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le 24 sept. 2014

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