"Belleville story"
Est-ce le titre de l'Humanité après une rafle de sans-papiers?
Est-ce le titre d'une chanson de Gainsbourg oubliée des charts?
On est pas loin de l'ambiance de cette BD dessinée par Vincent Perriot, scénarisée par Arnaud Malherbe qui vient de sortir chez Dargaud.
Belleville. Une nuit. Deux hommes. Deux missions. Un quartier.
La quatrième de couverture est tout aussi lapidaire et rapide que l'ouvrage. Comme un métro de la ligne 2 qu'on regarderait passer à Jaurès à 23h34. Direction Belleville. Chaque fenêtre de compartiments correspondrait à une case de cette BD trépidante. Les péripéties se suivent très vite, sans reprendre souffle, comme la course-poursuite qu'elle met en scène.
Néo-polar urbain qui nous plonge dans un monde sans peine reconnaissable : le Paris de l'économie parallèle, celui qui reste dans notre vision périphérique, suffisamment flou pour que l'on ne se sente pas concerné. Seule la littérature nous révèle son ombre fantasmée : directement accessible, sans le danger de la réalité. Peut-être que cette facilité d'entrée dans l'histoire sombre sur les trottoirs glauques de Belleville permet au scénario de ne pas paraître trop pauvre.
En effet, nous sommes à notre aise car qui dit "Belleville, la nuit" dit toute une galerie attendue avec excitation. Maquereaux et receleurs polonais. Mafia et clandestins chinois. Malfrat amoureux d'une prostituée. L'histoire paraît peu originale et pourtant elle plaît. Pourquoi?
Certainement parce qu'elle flatte et réfère à toute une culture sous-jacente de notre esprit avide d'intrigues des bas-fonds. A travers le trait nerveux adapté au mouvement, à la Joann Sfar, de Perriot, permet-on à nos instincts les plus enfouis, immoraux et égoïstes de sortir ? Car ici point de place pour un manichéisme, nous sommes hors de la justice, hors de la morale. Le monde dans lequel on vit, dans lequel on lit ne s'y prête pas. Le but de l'existence est simple : se démerder le mieux possible dans une ville lugubre qui ne semble vivre que la nuit, avec tout ce que cela engage comme violence et moyens dérisoires face aux jeux mafieux de pouvoirs et d'intrigues qui dépassent le simple individu.
Un mystérieux M. Zhu, redresseur de tort solitaire mais vénal comme un Punisher qui serait chasseur de prime est poursuivi et aidé par Freddy, un malfrat amoureux et armé d'une petite cuillère qui joue les durs mais veut délivrer sa Belle de Nuit de son mac polonais. On suit ce Petit Soldat qui ne peut tuer sur demande sans bien savoir pourquoi et qui se retrouve entraîné dans des affaires qui ne le concernait pas. Tout cela, en une nuit.
Les références et le background poncif sont totalement assumés par le dessinateur, au sein même de son entreprise graphique. Dans un entretien accordé à Bodoï.info le 21 juin, à propos de son style, il répondait : « J'ai cherché à avoir un trait vif, énergique, qui dégage de l'électricité. Je m'orientais vers le ton sale et urbain de romanciers comme William Burroughs, Charles Bukowski ou Hubert Selby Jr. »
Peut-être qu'il manque encore à ces jeunes auteurs le tour ironique et absurde de ces grands du bas-fonds pour rendre plus jubilatoire encore la lecture de cet album. Pour le second et dernier tome?
Belleville Story, Avant minuit Vincent Pierrot, Arnaud Malherbe, Dargaud, juin 2010
Belleville Story, Après la nuit Vincent Pierrot, Arnaud Malherbe, Dargaud, juin 2010