Les discussions feutrées et les rires nerveux des frères, entrecoupés par les brames rauques des montures... Le fumet d'une troupe pouilleuse et tendue, baignant dans son jus, suant un bouillon acide... Ce moment avant la bataille... Cet instant figé où tu penses à la mort, cette vieille putain, alors que t'as jamais été aussi vivant, je l'ai vécu des dizaines et des dizaines de fois... Pourtant, il me fait toujours le même effet, il me hérisse les poils sur le cuir comme si je poussais pour la première fois la porte d'un bordel de Port-Vogue. Et je sais que je suis pas le seul à éprouver ce frisson de plaisir et d'impatience à l'appel des armes... Qu'est-ce qu'on a dans notre foutue caboche pour aimer ça, alors que tant d'entre nous ne verront pas le soleil se lever demain.
Predator version Terre d'Arran
Pour les éditions Soleil, Nicolas Jarry est de retour avec le sixième tome des aventures "Orcs & Gobelins" : « Ayraak ». Une épopée d'héroïc fantasy d'une richesse débordante située dans l'univers des Terres d'Arran, à laquelle vient en parallèle s'additionner d'autres sagas dérivées tels que "Elfes", "Nains", et "Mages". Un nouveau périple qui nous projette au milieu d'une race violente les "Orcs". Les elfes Sylvains de l'île de Céliandes ont pris en otage le fils d'un puissant chef de guerre gobelin. Devant l'impossibilité à pouvoir sauver son fils, le gobelin va engager des mercenaires appartenant à la terrible compagnie du "Croc de fer". À sa tête, "Khan", le puissant (qui j'espère aura sa propre bande dessinée), qui pour remplir cette mission d'exfiltration en territoire ennemie va envoyer son meilleur capitaine "Ayraak". Avec son unité composée des sept orcs : "Tambour", "Barbak", "Picole", "Gratteur", "Plume", "Crapaud", et "Grimoire", il va se lancer dans une mission impossible. L’archétype du récit de survie qui met en scène un commando d'orcs infiltré dans un vaste espace sauvage. Une forêt elfique anxiogène et hostile pour les orcs, qui en plus des Elfes, vont être pris en chasse par une créature malveillante extrêmement féroce. Une menace occulte terrifiante qui avec sa gueule qui n'a rien d'un porte-bonheur va faire vivre un véritable enfer aux personnages. Une créature qui ne prend que du plaisir en traquant des proies de tailles, ce qu'il trouve avec Ayraak et son unité. L’histoire de sauvetage se transforme vite en une chasse à l’orc terrifiante et violente.
Nicolas Jarry orchestre un duel colossal immersif dans un environnement oppressif propice à l'ampleur de la menace. Jarry crée une vraie atmosphère afin d'intensifier le climat de terreur. Il va jouer du suspense en mettant à mal les membres du commando. Des gladiateurs impressionnants et redoutables qui feraient frissonner le plus vaillant des elfes, et qui d'une position dominante vont se retrouver dominés. Le chasseur devient la proie. Plus l'histoire avance, plus la crainte se répand à travers les soldats imposants de la division qui se font décimer un à un. Un crescendo intense et angoissant pour le lecteur qui se retrouve catapulté dans une partie de chasse horrifique diablement efficace. Une épopée de survie impitoyable alimentée par un groupe de personnages exaltants auxquels on s'attache. Si bien, qu'on s'inquiète pour eux. C'est là l'intelligence de Jarry, qui malgré le postulat hideux et maléfique des orcs parvient à créer une véritable connexion avec le lecteur qui ne veut voir aucun des membres mourir. Les rebondissements sont nombreux. L'action est extrêmement divertissante, violente et inattendue. Les affrontements sont vifs et durs. Ça tape fort ! L'ultime confrontation est à la hauteur du récit. On est pris dans le combat, la tension est totale ! Le duel claque : il est barbare et brutal. Une résultante parfaite aussi bien dans le fond que la forme. On dévore chaque page !
La relation entre les membres de l'unité du Croc de fer est l'élément d'accroche de cette bande dessinée. Ayraak est un personnage principal fascinant. Une figure spartiate barbare qui tient sa division en haute estime : « Plume, Grimoire, Tambour, Barbak, Gratteur, Picole et Crapaud... J'aurais pu choisir n'importe qui d'autre, les yeux fermés tous m'auraient suivi jusque dans l'antre d'un vieux ver... Mais ces sept-là sont mon assurance retour ». Ayraak est un guerrier tenace très puissant fier d'appartenir au Croc de fer. Son rêve : mourir aux champs d'honneur du combat pour perdurer à jamais dans les récits et les chansons que se racontent depuis des générations les membres du Croc de fer. Si Ayraak est passionnant à suivre, il en est de même pour sa tribu. On retrouve : "Plume", une prêtresse mystérieuse réfléchie dotée d'un don surnaturel pour le moins utile. "Tambour", taillé comme un tabouret mal ajusté. Une enclume maladroite dans l'utilisation d'une arme mais dotée d'une résistance hors du commun. Si bien, qu'il est de l'unité celui qui a versé le plus de sang, ce qui force le respect du reste du groupe. "Grimoire", le frère d'armes et de sang d'Ayraak. Il tient le compte des 6 générations de la compagnie morts au combat. Il est l'assurance que chacun marque sa présence dans la compagnie en faisant des exploits et ainsi perdurer dans les mémoires. "Gratteur", est l'archer le plus habile de la bande. Il est futé. "Picole", c'est l'ancien et la mémoire de la compagnie. Il est précis avec les armes qu'il manipule. "Barbak", est un orc qui tient plus de la bête sauvage un peu bête, élevé dans une ferme humaine qui tue des femelles orcs pour voler les morveux et en faire des esclaves. Il est une force de la nature. Enfin, "Crapaud", un gobelin élevé par la compagnie du Croc de fer. C'est un guetteur et un pisteur hors pair à ne pas sous estimer, qui se prend pour un orc au point de détester les gobelins. Une belle équipe ! S'ajoute, l'otage à récupérer qui est un gobelin vicieux qui n'a aucune considération pour les mercenaires venus le délivrer.
L'une des autres forces d'"Orcs & Gobelins" : « Ayraak », provient du dessin de Jesùs Hervas Millan. Une technicité très personnelle encore jamais vu pour l'univers des Terres d'Arran. Une conception à l'ancienne qui permet de mettre en évidence les lignes tout en suggérant le modelé. Une approche bienvenue qui apporte une identité mystique et maléfique aux traits des personnages. Au début déroutant, les dessins deviennent rapidement un véritable point fort de l'album. Les décors sont magnifiques. La tour de garde avec un feuillage recouvrant l'ensemble de la tour est une belle pièce. La mise en forme de la pluie est de toute beauté. Le gigantesque pont apporte une proportion épique. La Citadelle abandonnée est bluffante. Une illustration ingénieuse qui offre au cadre une véritable grandeur. S'ajoute la coloration de J.Nanjan. Nanjan propose une série de couleurs savamment appliquée afin de coller avec la technicité si particulière de Jesùs Hervas Millan. Des techniques colorées qui rappellent l’aquarelle, le pastel, la gouache, ou encore la peinture à l’huile. Un dessin qui ne manque pas de personnalité pour une ambiance glauque et oppressante qui capte le liseur par une tension palpable aussi bien dans le fond que la forme.
CONCLUSION :
"Orcs & Gobelins, tome 6" : « Ayraak », de Nicolas Jarry, Jesùs Hervas Millan et J.Nanjan, est un sixième album immersif proposant une plongée sous haute tension à travers un récit de survie horrifique haletant. Que ce soit au niveau de l'histoire, du rythme, des actions, de l'ambiance, des décors, de la mise en vignette, des couleurs, jusqu'au traitement des protagonistes pour un contraste dramatique intelligent, Ayraak se dresse comme un excellent album. La promesse d'une aventure implacable pour le lecteur amateur d'un enjeu où les chasseurs sont chassés par un plus dangereux chasseur, à la John McTiernan avec "Predator". Comme des elfes dans une fontaine de pétales de rose, Pute-Fion !
Une bande dessinée instantanément culte.
Les nains sont obstinés, les elfes sont arrogants, les gobelins sont lâches, les humains sont avides... Et les orcs ne craignent pas ni l'échec ni la mort. La seule chose qui leur donne un peu de bon sens et de prudence, c'est l'idée insupportable, qu'une fois qu'ils seront morts, il n'y aura plus de gueuleton avec les potes... Alors on est partis chercher le morveux de FoÏ-Gorba... Parce qu'on est des orcs, parce qu'on fait partie de la compagnie du Fer.