Bakuman
7.2
Bakuman

Manga de Tsugumi Ōba et Takeshi Obata (2008)

un document pointu et prenant

Évidemment, les lecteurs difficiles, ceux qui cherchent la révolution à chaque page qu'ils tournent d'un livre, seront déçus, voire agacés par la trame narrative : deux ados qui se promettent de se marier s'ils réalisent leurs rêves, c'est à dire pour le héros devenir dessinateur de manga, et pour la fille, doubleuse. Avec pour condition de ne pas se voir jusqu'à ce moment. OK.

Cependant, les aventures de Saiko et Shujei (le dessinateur amoureux ci-dessus et son pote talentueux écrivain qui se veut scénariste) amènent une chose inédite et assez unique dans le paysage préfabriqué du shonen manga : un véritable document didactique (et pourtant rythmé et prenant) sur les coulisses de la bande dessinée japonaise. Et ça n'est pas rien.
Publié en plus par Shueisha, on aurait pu imaginer un résultat consensuel et prêchant pour la paroisse. C'est pourtant plus subtil. Étonnant même, nos deux mangakas junior (oui, ils ont 14 ans pour leur débuts !), ayant pour but principal de devenir les numéros 1, décident (avec un certain calcul) de faire du manga de fight, type DBZ, Naruto, One Piece... etc. Limite en copiant les trucs qui marchent et font vendre. Le mécanisme typique carrément prôné par l'invasion à la con des "apprendre à dessiner des mangas - la méthode facile en douze volumes".

Mais Bam ! les gamins tombent sur un éditeur intelligent de chez Shueisha qui réalise très vite qu'ils ne sont pas bons dans ce genre de truc dit "classique", et qu'ils doivent s'orienter vers un truc plus adulte, quitte à faire moins de ventes au début. En gros faire un truc qui leur ressemble vraiment, personnel, et pour lequel ils sont vraiment bons. Rien que pour ce conseil (qui s'adresse tout en même temps au lecteur qui pourrait vouloir suivre la voie des deux héros), ça mérite le respect.
L'autre chose particulièrement intéressante, c'est que tout en expliquant comment se fabrique un shojo manga type (il y a des règles pour ça !), on en a un dans les mains ; une sorte de "théorie et pratique du shojo manga. Et, très fort, la recette est appliqué à un univers assez inattendu. Ce qui en fait, malgré tout, l'originalité. D'autant que ça fonctionne vraiment bien (en dépit des lourdeurs de romantisme - qui sont d'ailleurs contrebalancées à plusieurs reprises par des moqueries).

À quoi s'ajoute un autre élément particulièrement fascinant pour le "lecteur littéraire" contemporain : on a là un récit aux limites de l'auto-fiction. De façon amusante l'éditeur japonais (et l'éditeur français suit la mouvance) fais semblant de ne pas savoir qui est Tsugumi Ohba, le (ou la) scénariste, l'entourant d'une sorte d'aura de mystère, qui allait vachement bien pour la période Death Note. Des bruits courent faisant penser qu'Ohba ne serait autre qu'Hiroshi Gamou, l'auteur d'un manga mal connu en France : Tottemo ! Luckyman. Une sorte de truc humoristique des super héros avec des combats, des explosions, des extra-terrestres et surtout ces dessins incroyables (checkez donc ça dans google image !). Par chance, j'ai quelques exemplaires (juste pour admirer ces dessins fascinants) chez moi.
Et, il s'avère que pour documenter leur manga, Ohba et Obata (c'est des surnoms, hein) y ont glissé leurs "nemus" (c.a.d. les découpages au brouillons des planches). Parce qu'au japon les scénaristes doivent gribouiller un peu leur scénarios. Le truc uniquement écrit ne convient pas aux éditeurs, qui veulent se faire une idée très vite. Et donc, si l'on compare les gribouillages rapide d'Ohba, on reconnait clairement le style d'Hiroshi Gamou.

Alors quand, dans le manga on trouve un oncle, anciennement auteur d'un manga parodique de super-héros, qui a eu droit à son adaptation, puis a été sorti du circuit, avant de mourir, ça fait tilt. Intéressant de savoir qu'Hiroshi Gomou, dont l'oeuvre a eu un certain succès, malgré (ou grâce ?) à ses dessins mal fichus, n'a rien fait d'autre ensuite. On imagine que s'il a changé de nom pour Death Note, c'est certainement pour des questions de crédibilité, les deux oeuvres n'ayant vraiment rien à voir. Mais désormais, s'étant refait une place, on peut laisser la vérité éclater. Quitte pour ça à faire semblant de rien, pour que les lecteurs se croient super intelligents de le découvrir eux-mêmes.
Cet oncle, dans le manga, c'est d'une certaine façon Hiroshi Gomou, qui, on peut le dire métaphoriquement, est bel et bien mort, éditorialement parlant, ses bouquins ne se trouvant plus qu'en occasion, d'ailleurs. Et Saiko et Shujei, sont eux comme des versions adolescente des auteurs. Prenant le relais du mort. Exactement - métaphoriquement toujours - comme dans la réalité. Et, rien que pour ça, je dis chapeau.
Maintenant, le vrai mystère, c'est de savoir quand est-ce qu'un éditeur aura les couilles de faire traduire Luckyman...

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le 5 avr. 2011

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colville

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