C'est la casquette du personnage qui m'a trompé. L'uniforme aussi ; trompeur l'uniforme. La couverture a décidément eu raison de moi et la réputation «tactique» du manga aura achevé de me convaincre à le lire. À en juger par sa stricte apparence, à m'en tenir à sa jaquette uniquement, je croyais à un nouveau Golden Kamuy. Je savais évidemment que cela tenait du vœu pieu, il ne pouvait pas y avoir deux Golden Kamuy, cela, parce que la foudre ne frappe jamais deux fois au même endroit. Mais de ce manga, parce que sa seule couverture m'avait fait bonne impression, j'en attendais quelque chose.
Ce manga, à compter de ses premières mises en jambe, souffre d’un problème de rythme à l’intérieur même de ses chapitres. Les scènes sont saccadées et la transition d’une case à l’autre ne s'opère pas naturellement. On y perdrait en compréhension si l’intrigue n’était pas si grossièrement fléchée. D’autant que le premier chapitre n’introduit presque aucun élément d’intrigue. Monsieur doit enseigner son savoir militaire à des recrues. Rien que l’entame aurait pu être écourtée de moitié en étant pourtant déjà raccourcie par son paneling loupé. Le récit s'entame avec la même grâce qu'une chute dans les escaliers qui n'en finirait pas.
Ah qu’ils sont beau tous ces soldats qu'on nous présente. On jurerait voir des personnages de J-RPG aux traits si lisses que même une balle tirée à bout portant leur glisserait sur la peau. Ils ont des visages radieux. Le concept même de la laideur s’absente. Car comme chacun le sait, officiers comme hommes de troupes, chacun, sont réputés pour leur beauté proverbiale. À commencer par les blessés de guerre – nombreux durant le dix-neuvième siècle européen dont s’inspire le manga – et les vétérans échaudés par cent batailles.
Il n’est pas question de céder au virilisme ultra en proférant ce que je m’apprête à écrire, mais un simple coup d’œil aux effectifs armés actuels permet de définir quasiment un phénotype incombant au soldat. Et ce sont des gueules rudes. Le genre qu’on ne confondrait pas avec le visage de Sakura comme c’est ici le cas avec Gunka no Baltzar. D’autant que les dessins ne sont pas superbes. La couverture, à plus d'un titre, aura en effet déçu nos espérances les plus vaines. Les personnages de J-RPG, esthétisés à outrance pour bon nombre d’entre eux, ont au moins pour eux d’être finement dessinés. Le dessin ici est lacunaire en détails ; les belles gueules sont dessinées à l’envolée si bien que, de beauté véritable, il n’y en a même pas. Tous les personnages, finalement, sont beaux sans être élégants, ce qui, alors, les rend quelconque.
Et c’est grande erreur que de croire que leur personnalité va jaillir par-delà le trait qui les constitue. Ils sont mièvres, stéréotypés et même interchangeables pour bon nombre d’entre eux. Il y a les seconds couteaux au grand cœur, le beau ténébreux placide et austère sur son cheval, le jeune premier à qui tout réussit : une distribution de rêve jamais vue ailleurs comme chacun peut s’en douter. Mais surtout, qu’ils sont fades ces gens-là. Ils n’ont pas de caractère, aucun éclat, aucune caractéristique attachante ; tous, sont pareils à des acteurs qui, sans entrain aucun, lisent un script qui ne paraît pas leur plaire. Eux-mêmes ont presque l’air de ne pas vouloir être dans ce manga qui relate leurs aventures ; ils n’engagent décidément pas à la lecture.
L’action – car il en faut en temps de guerre – est aseptisée, convenue ; on s’emmerde au milieu de la poudre qui crache et de la cavalerie qui galope, c’est tout de même un monde. Il n’y a ni la mesure de la réelle violence de la guerre – le gros se concentre sur l’instruction des soldats – ni sur ce qui rapporte à la véritable camaraderie, et encore moins aux conséquences d’une défaite.
Cette instruction militaire dans un contexte pour le moins belliqueux – le dix-neuvième siècle en Europe je le rappelle – a des allures de club sportif. Qu’on ne s’y trompe pas cependant, Gunka no Baltzar n’est pas un manga qui prend prétexte de ce contexte pour établir une trame humoristique. Car les rares frasques drolatiques, ici, il faut les deviner tellement l’humour est mal agencé.
De bout en bout, on a le sentiment qu’il ne se passe rien. On voit bien que parfois, des personnages s’agitent et parlent fort. Mais on serait finalement incapable de trop dire pour quelle raison il y a toute cette agitation. Elle advient parce qu’il le faut, apparemment, pas parce que le récit, par un parcours logique, suppose qu’une conséquence survienne à la suite d’une cause antérieurement établie. Les choses se passent. Et elles se passent mal pour un lecteur qui peine à s’accrocher.
Le contexte guerrier de l’Europe de cette époque, c’est pourtant fascinant. Je ne demande pas du Barry Lindon à tous les étages, mais rien qu’un poil de transcendance, un zeste de nouveauté ; quelque chose. Mais rien. Du bruit, pour rien.
Balzer, quand il résout des situations, ne le fait que parce que les problèmes en question sont d’une stupidité abyssale. Il n’a strictement aucun mérite à accomplir ce qu’il fait alors qu’un individu avec une tête bien faite, sans même une once d’instruction militaire, pourrait aboutir aux mêmes conclusions que lui à chaque situation donnée. De meilleurs conclusions en réalité.
Car Balzer est le Onizuka de l’instruction militaire. Au menu, laxisme, bons sentiments et un antagonisme qui n’a pas lieu d’être tant ceux qui s’opposent à ses méthodes sont caricaturaux. Les officiers qui cravachent leurs soldats au moindre poil de cul de travers et qui annoncent qu’ils ne sont pour eux que des outils sur le champ de bataille – parce qu’il sont méchants comprenez-vous – ne font généralement pas long feu. À l’armée, il faut des officiers froids et lucides avec des sous-off qui savent alterner entre la carotte et le bâton. Un régime bâtons ou, comme en propose Belzer, un régime carottes, ne nourrit pas l’instruction d’un homme de troupe. Il faut savoir adapter la discipline en fonction des éléments dont on dispose, il n’y a pas une méthode parfaite comme on cherche à nous la présenter ici. Ce n’est pas rendre service à ses hommes que de tout leur pardonner et de les caresser systématiquement dans le sens du poil. Le manque de rigueur, à l’approche du champ de bataille, peut parfois se payer très cher.
Et les tactiques, comme la pertinence des instructions ici enseignées, reposent tantôt sur l’inaptitude adverse quand elles ne s’en remettent pas à la mansuétude d’une intrigue décidément très clémente à l’égard de ses protagonistes. Alors, le constat établi, il n’y a plus à voir qu’un bishônen niais et sans substance où la stratégie s’incarne comme de la magie noire tant elle est facile et parfois fantasque. Sans compter qu’on s’y emmerde dans cette aventure. Rien n’est fait pour chasser la torpeur ; elle y est reine et règne sans partage.
On ne voit pas même quelle pourrait être la finalité de l’œuvre alors qu’on ne lui trouve déjà aucune substance. Pour ceux qui auraient espéré y retrouver un semblant de fond commun avec Kingdom pour ce qui est de la stratégie militaire, vous retrouverez à la place du Kuroshitsuji sans intrigue ni personnage vaguement marquant.