Après Batman: White Knight et Batman: Curse of the White Knight, qui peuvent être considérés sans exagération comme faisant partie des meilleurs albums du chevalier noir, qui en a pourtant connu une palanquée, c'est peu dire que j'attendais la suite. En effet, Sean Murphy avait su intelligemment déconstruire le mythe en le soumettant à la critique d'un regard contemporain concernant de nombreux sujets de société : répression policière, mouvement Black lives matter, inégalités sociales, populisme, écriture de l'Histoire... tout en produisant un dessin de haute volée. Brisons le suspense : si on retrouve dans ce nouvel opus le talent graphique et le sens du rythme des précédents, le scénario lui m'a beaucoup moins convaincu.
Commençons par un élément qui peut paraître anecdotique mais demeure très présent : la réapparition de Jack Napier (alias la personnalité « sensée » du Joker, tué dans l'album précédent), sous la forme d'une intelligence artificielle implantée à l'intérieur de Bruce Wayne. Je n'ai tout simplement pas cru à cette explication pseudo-technologique et je trouve dommage, quitte à le faire revenir, du refus assumé dans le texte d'en faire une hallucination psychologique. Cela aurait pourtant été la solution évidente étant donné que la folie a toujours été l'un des thèmes centraux de la licence. A la longue, les commentaires permanents du personnage transformé en fanboy ont même fini par m'agacer.
En revanche, on peut saluer la présence de Jason Todd/Red Hood qui renoue avec Bruce Wayne une relation plus intéressante que celle de Dick Grayson/Nightwing, même s'il est affublé d'une sidekick qui en dehors de son arc narratif personnel a peu d'influence sur l'histoire. Les super-héros transformés avec l'aide de la technologie Wayne en instruments d'un état policier est une belle trouvaille, il est dommage que la thématique soit à peine effleurée. Enfin, les scènes d'actions sont toujours aussi efficaces, mais même sur ce point c'est l'écriture qui pêche : raison pour laquelle l'affrontement final avec le grand méchant m'a paru bavard et sans tension dramatique. Super vilain qui se résume pendant longtemps à un gars en costume.
Sean Murphy continue son entreprise de démolition de Batman. Depuis les opus précédents, il questionne la toxicité des principes mêmes du super héros, mais cette fois les personnages sont à ce point éloignés de leur origine que j'ai ressenti à mon corps défendant une certaine déception. Jusque-là l'auteur avait réussi à se tenir sur la corde raide entre cette remise en question et le plaisir malgré tout de retrouver l'homme chauve-souris, grâce à des histoires qui évitaient le manichéisme. Ici il prend le contre-pied d'un modèle de virilité à l'ancienne produit par exemple par Frank Miller : Bruce Wayne fait des crises d'angoisse, apprend à se comporter en mari et en père (adoptif) responsable, adopte un chien... Au risque d'en faire un personnage sans relief.