Batman : Gotham by Gaslight par arnonaud

Donc le concept de l'album est très simple : c'est un univers alternatif où Batman évolue cette fois à la fin du XIXe siècle. C'est un de ces fameux "elseworlds" de DC, même le premier d'entre eux de ce que j'ai cru comprendre. Vu qu'avant 86 et Crisis on Infinite Earths, DC parlait soit de terres alternatives (earth-2 et les héros du golden age, earth-3 et les versions méchantes des super-héros, etc.), soit d'"histoires imaginaires" pour les épisodes hors continuité où les auteurs avaient plus de liberté. Après Crisis on Infinite Earths, il n'y a plus qu'une terre et toutes les histoires sont en continuité, mais l'envie de faire des histoires en dehors des clous est trop forte, et la sortie et le succès de ce one-shot vont motiver la création du label elseworlds, et de ces variations très prononcées vis à vis de ce que l'on connaît des héros.


L'album est constitué de deux histoires se passant dans cet univers : "Gotham by Gaslight", le one-shot originel de 48 pages sorti en 89, et "Master of the Future", le second one-shot sorti en 91, avec cette fois-ci Eduardo Barreto qui remplace Mignola aux dessins.

C'est Mark Waid qui est l'éditeur qui chapote le one-shot originel, dont le scénariste Brian Augustyn est lui-même l'éditeur qui engagera Waid sur Flash quelques années plus tard.


Bref, l'idée d'un Batman à l'époque victorienne est très chouette et il faut dire que le héros s'y prête super bien. L'ambiance poisseuse des petites ruelles boueuses ou pavés mal éclairées de l'époque colle hyper bien avec Batman, et Bruce Wayne étant un riche héritier avec un majordome, il est plus qu'à sa place pour les histoires se situant à cette époque, qu'on a l'habitude de voir se passer dans la haute société.


En plus c'est illustré par Mignola, qui évidemment se régale dans un tel contexte (enfin, nous régale, j'ai aucune idée si ça lui a plu de bosser sur ce titre). Il est fait pour ce genre d'ambiance et les récits à cette époque et il nous offre des pages somptueuses, plongées dans la pénombre, à la colorisation volontairement terne. C'est absolument magnifique et c'est évidemment le gros point fort du tome. Son Batman qui se mêle en permanence aux ombres, qu'on ne voit jamais clairement est vraiment incroyable. Mignola n'a pas encore tout à fait le style qu'il aura sur Hellboy, mais j'adore aussi le style qu'il a à cette époque.


Côté scénario : il y a de super idées. Bruce Wayne qui fait son retour à Gotham et ses débuts en tant que Bat-Man en même temps qu'une vague de meurtres qui semble être l'œuvre de Jack l'Eventreur est un bon concept, surtout quand ça amène à Wayne accusé à tord. C'est un bon face à face avec de bons moments de tensions, mais hélas le mystère qui entoure l'identité de Jack l'Eventreur est totalement foiré. Ca essaye vaguement de lancer des fausses pistes au début tout en présentant un personnage qui est évidemment Jack, c'est assez maladroit. Et la conclusion qui rajoute une couche de "tout est lié" m'a pas du tout convaincu. Il y a des auteurs à qui on aurait jamais dû parlé du fusil de Tchekhov. Et à mon avis le fait que ce soit un court one-shot empêche un peu l'histoire de libérer son plein potentiel.

Après, ça reste une super idée, une ambiance absolument incroyable et y a des très bons moments, mais je trouve la résolution faiblarde.


La deuxième histoire, Master of the Future, part dans une direction un peu différente. Vu que Mignola n'est plus aux dessins, remplacé par Eduardo Barreto, au style plus classique, l'intrigue part elle aussi sur quelque chose de moins sombre et poisseux, nous offrant une intrigue plus impressionnante, qui se passe en plein jour, sur fond d'exposition universelle, et on s'oriente là clairement plus sur du steampunk. La colo de Steve Oliff est elle-même beaucoup plus lumineuse que ce que David Hornung pouvait faire sur la première histoire.


Ce qui est étonnant, c'est qu'Augustyn nous offre encore une fois un vilain inédit, cette fois totalement inventé me semble t-il. Je trouve très étonnant qu'il ne profite pas de cet elseworld pour nous offrir toute une galerie de variations des vilains classiques de Batman, on a juste une allusion au Joker dans la première histoire, mais bon pourquoi pas.


Aux dessins Barreto fait un boulot très propre. C'est beaucoup plus classique, mais ça fonctionne. Il y a de bons jeux de textures dans son encrage qui donne parfois des choses très sympas, et on a le droit à pas mal de belles cases impressionnantes. Mais c'est vrai que j'aimais beaucoup l'idée de ne jamais discerner clairement le Batman de cet époque, alors que là il y a des cases où on peut vraiment voir tous les détails de son costume. Il y a aussi quelques moments où la narration manque un peu de lisibilité mais bon rien de très gênant non plus.


Au scénario, comme pour la première histoire : on a de très bonnes idées par moment (on a un combat à l'épée dans les espèces d'échafaudages d'un dirigeable !) mais globalement il y a tout un potentiel qui reste inexploité et on a encore une fois une conclusion assez médiocre.


Le fait que je lise cette BD peu après avoir lu le one-shot/graphic novel Power of Shazam de Jerry Ordway (inclu dans l'Anthologie Shazam d'Urban Comics), où il est là aussi question d'exposition universelle et où là aussi l'auteur à tendance à trop relier ses fils narratifs, m'a peut-être pas non plus aidé à apprécier davantage cet album.


Bref, mon avis global va un peu revenir à mon avis sur la première histoire : super concept, super ambiance, la partie graphique de Mignola qui vaut vraiment le détour, de bonnes idées ça et là, mais des histoires pas incroyables, qui manquent probablement un peu de place et aux fins assez décevantes. C'est pas une lecture désagréable, c'est chouette que Mignola ait pu nous offrir ça, mais c'est clairement pas dingue non plus. Peut-être que j'en attendais trop, je ne sais pas.

arnonaud
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le 28 févr. 2023

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