En 2019, pour la première fois DC publiait en trade paperback l'arc narratif Troika (édition originale : février 1995) qui vient conclure l'énorme crossover Knightfall démarré deux ans plus tôt avec Batman #489 (février 1993). Très rapidement cet album est devenu introuvable et aujourd'hui, sur le marché de l'occasion, un collectionneur sera chanceux s'il en trouve un exemplaire autour de 150€, soit près de 10 fois son prix d'origine. Qu'est-ce qui explique un tel intérêt pour un récit généralement snobé par les critiques qui ne le mettront jamais dans un top quelconque ?
Nous sommes début 1995. Les adolescents américains se remettent doucement de la mort de Kurt Cobain et viennent d'avaler deux ans d'un run épique qui a vu leur héros favori se faire briser par un géant sous stéroïdes puis disparaître de Gotham pour laisser le combat contre le crime à un néo-Batman illuminé et particulièrement violent. Deux ans d'un crossover qui s'étale sur une partie des mensuels de DC (Batman, Detective Comics, Catwoman, Robin, Shadow of the Bat, Legends of the Dark Knight, etc.) avec des hauts et des bas, des grandes pages extraordinaires et d'autres passages un peu longuets, mais surtout un Batman (Bruce Wayne) proche du gouffre psychologiquement.
Alors pourquoi cette note si élevée et cette valeur sur le marché de l'occasion ? Pour le récit ? Si Dixon et Moench font le job, le narratif reste assez convenu : des agents de l'ex-URSS veulent faire péter une arme atomique à Gotham ! Au moins le décor est planté. C'est kitsch et savoureux à la fois. Mais ce n'est pas là le principal atout de cet album.
Le graphisme. L'album part sur les chapeaux de roue avec un premier épisode somptueux signé Kelley Jones. Le trait est gras, les contrastes au maximum, les couleurs brulantes : les visages sont jaunes, bleus, les gratte-ciels de Gotham oranges déchirent un ciel violet. La ville ne semble d'ailleurs connaître que deux temps : celui de la nuit d'encre et celui du crépuscule/de l'aube. Quelle vision éclatante. Du côté du dessin, Batman arbore un nouveau costume, plus sombre, les vilains sont exubérants : KGBeast (prière de ne pas rire) est un lutteur russe aux proportions démesurées, une autre arbore une énorme étoile soviétique au milieu du front... C'est énorme ! Derrière Jones, Barry Kitson fait du très bon boulot sur le 2e épisode, par contre Graham Nolan peine à suivre la cadence sur les deux derniers.
Cette édition inclut également deux one-shots, un épisode signant le retour d'Alfred au service de Bruce Wayne, et un autre consacré à Bane. Si vous êtes fan des 1990s, vous allez adorer, il n'est presque pas nécessaire d'avoir lu le crossover Knightfall avant, cela peut être abordé comme un récit court indépendant.