Blackjack Deluxe par nolhane

Osamu Tezuka est reconnu dans le monde entier comme un pilier du manga moderne et si son œuvre est adulée en France, beaucoup de ses œuvres restent à découvrir ou à remettre en avant. BlackJack n'est plus disponible en français en version papier (seulement en version numérique). BlackJack est le plus long manga dessiné par Tezuka avec 24 tomes dans son édition d'origine et certainement un de ceux qui a le plus marqué le lectorat à sa sortie.
Publié entre 1973 et 1978, BlackJack est une sorte de melting pot dans lequel on retrouve un condensé de toute l'œuvre du mangaka.

Mais tout d'abord, que raconte BlackJack? Ce manga composé d'une multitude d'histoires courtes (chaque chapitre est une histoire complète) racontant les péripéties de Black Jack, un médecin de génie qui officie sans diplôme en demandant des sommes astronomiques aux personnes qu'il soigne.
Si certaines histoires sont assez légères et que l'humour est bien présent, ce manga est plutôt à ranger dans les titres matures et sombres de Tezuka.
On prend dans un premier temps ce médecin marron pour un sombre personnage qui ne pense qu'à l'argent en faisant fi de toute morale. Un parfait anti-héros aux méthodes plus que douteuses qui va se révéler peu à peu en homme qui doute, qui échoue et qui est porteur d'une morale et d'une certaine éthique. L'homme est brisé depuis son enfance et semble chercher à soigner et à reconstruire coûte que coûte quelque chose.

Ce personnage aussi passionnant que complexe fait toute la saveur et l'intérêt de ce manga.
Il est considéré par de nombreux personnages comme un médecin de génie quand d'autres le voient comme un dangereux usurpateur, son talent et son éthique tous personnels en font un personnage que je trouve assez unique.
On va parfois le détester, à d'autres moments l'admirer quand certaines fois on va ressentir de l'empathie devant ce personnage si humain et si imparfait. J'aime beaucoup la manière dont Tezuka dévoile peu à peu son personnage, sa complexité et ses aspérités. L'histoire personnelle du personnage de Black Jack va résonner avec l'entièreté des récits et nous amener à rencontrer plusieurs personnages eux aussi intéressants.
J'ai parfois eu un peu de mal avec le personnage de Pinoko, ressort comique parfois un peu lourd mais qui a le bon ton de contrebalancer la noirceur du personnage principal. Pinoko est un personnage très récurrent dans le récit. Black Jack l'a sauvée et la considère comme sa fille alors que Pinoko se considère comme la femme du médecin et se montre très souvent jalouse des femmes qu'il soigne.
Malgré son caractère parfois un peu agaçant, Pinoko est un personnage attachant. La traduction française lui donne un zozotement pas forcément réussi et parfois difficile à comprendre.

BlackJack c'est aussi le dessin d'un drame, celui d'une humanité incapable de vivre avec elle-même. Si la lecture est parsemée d'humour, on ressent bien combien les réflexions de Tezuka sont dans l'ensemble assez sombres. La quête du profit permanent, l'oubli de l'importance de la vie, la déconnexion des Hommes avec leur environnement, la toute puissance de l'ego et de la gloire, l'inégalité des soins selon les revenus, la manière dont sont perçus les animaux.. Tezuka se montre une fois de plus comme un peintre génial de la condition humaine en abordant une myriade de thématiques qui restent toujours d'actualité malgré l'ancienneté du manga.
Il est intéressant de rappeler que Tezuka a suivi des cours de médecine et cela se ressent tant le manga peut se montrer précis au niveau médical y compris dans la représentation des opérations de chirurgie.

Le personnage de Black Jack n'a pas de diplôme et plusieurs histoires soulèvent la question de la valeur des diplômes. Certains personnages vont juger Black Jack comme illégitime car n'ayant pas de diplôme alors qu'il est bien plus compétent qu'eux.
Même si le manga est souvent axé sur les bienfaits de la médecine moderne et de la chirurgie, l'auteur amène des réflexions sur les limites de cette médecine, sur le médecin/dieu et sur les bienfaits (et limites) des médecines naturelles et traditionnelles.
Le dessin de BlackJack est du Tezuka tout craché. Si le trait est daté, il reste d'une grande efficacité et se révèle beau et puissant si l'on adhère au style. Bien sûr, on retrouve la savante narration de Tezuka, d'une fluidité sans faille, elle fait que l'on dévore histoire après histoire avec un appétit insatiable. Les cases sont à la fois facile à lire et à comprendre et en même temps tout le temps en accord avec le récit au niveau du rythme et des émotions que le dessin apporte.
BlackJack a la particularité de rassembler énormément d'œuvres de Tezuka via de nombreux caméos de personnages. Il est amusant de chercher les apparitions de personnages provenant d'autres histoires. En même temps, cette caractéristique rappelle combien ce manga est important dans la carrière de Tezuka.
Je suis très souvent et facilement fan de mes lectures de Tezuka mais BlackJack est véritablement une lecture coup de cœur pour ma part.
J'ai trouvé l'ensemble des histoires passionnantes et dotées de fins très réussies arrivant à rendre chaque récit marquant malgré leur courte durée.
Ce manga arrive à être passionnant en quelques pages grâce à des récits tantôt drôles, tantôt émouvants. Il parle de la valeur de la vie avec beaucoup d'humanité et montre avec complexité beaucoup d'éléments et de questionnements du monde médical. Il arrive à distiller avec finesse des questionnements sur la place des Hommes.
Black Jack est une véritable aventure humaine qui m'a marqué et qui se place d'ores et déjà dans mes titres favoris de l'auteur. Un indispensable dans la carrière du mangaka.