Pour le mangaka et architecte de formation Nihei, BLAME! (1998) est un prétexte. Plus qu’un prétexte, un terrain de jeu où il peut exprimer son amour de l’architecture.
Il veut dessiner, et le reste est auxiliaire. Les dialogues sont rares, souvent cryptiques. L’histoire —la quête de gênes humains purs— n’est qu’une excuse pour permettre au héros, Killy, de déambuler dans la mégastructure et d’interagir avec ses habitants. L’univers, le lore, est à la fois vague et infini, se permettant de faire des ellipses spatiales ou temporelles démentielles sans crier gare, et conjurant des nombres absurdement grands dans le but délibéré de nous perdre. Mêmes ses dessins sont plus pensés pour retranscrire des ambiances que des actions —y compris lors des combats—, comme des tableaux compressés un peu par hasard, parfois contre nature, pour rentrer dans les cases du manga. D’ailleurs on sent dans ce premier tome que les personnages humains, ou d’apparence humaine, sont assez peu définis et partagent souvent des traits similaires, ce qui peut les rendre difficile à différencier. Le vrai personnage central de BLAME!, ce n’est pas Killy ou un autre, mais la mégastructure. Ses habitants ne sont que ses rejetons plus ou moins directs, plus ou moins difformes, plus ou moins humains. Le concept d'humanité est d’ailleurs à la fois central du fait de l’histoire, et dans les faits complètement dépassé.
Il n’y a d’ailleurs qu’à lire la fin de l’oeuvre —et non pas de ce premier volume—, pour s’en convaincre. Le gêne pur n’est pas une relique d’un passé et d’une humanité perdus, mais est recréé par une hybridation impossible.
Tous ces éléments rendent la lecture étonnamment difficile. Je ne compte plus le nombre de fois où, bercé par les ambiances surréalistes et berné par l’absence de texte, j’ai relâché mon attention avant de devoir retourner plusieurs pages en arrière parce que je ne comprenais plus rien. La belle édition Deluxe de 2018, en grand format, est assurément d’une grande aide et permet de mieux profiter des dessins. Parfois je me retrouve comme une sorte de détective, à passer les différentes images au crible afin de comprendre comment les relier et l’histoire qu’elles racontent. C’est assurément un défaut de narration, et cela trahit son approche encore verte du manga —c'est sa première oeuvre—. Mais je lui pardonne bien volontiers (au point de laisser le 10/10), car comme je l’ai déjà écrit, là n’est pas l’intérêt du manga. Il est possible de feuilleter l’ouvrage sans s’attacher à l’histoire, juste pour s’immerger dans les visions de Nihei.
Ces dernières sont marquées par deux influences majeures : Giger et Escher. Les références à Escher sont évidentes, dans le caractère impossible des espaces traversés. Giger se ressent non pas dans la sexualité monstrueuse qui caractérise son oeuvre, mais dans la fusion de l’organique et du mécanique. Les frontières sont d’ailleurs délibérément floues, grâce à l’utilisation du noir et blanc, mais aussi dans les rares éclats de couleurs —Killy traversant des décors entièrement rouge sang—.
Bref, BLAME! est une oeuvre qui ne conviendra pas à tout le monde. Mais si aimez les espaces-temps contemplatifs et mystérieux qui défient les lois de la logiques tout en stimulant l'imagination, alors vous en tomberez surement amoureux. Et quitte à en profiter, autant prendre l’édition Deluxe.