Je m’en vais vous culturer les méninges à vous autres. Parce qu’en arrière-boutique des bouffonneries de Bobobo-bo-bo-bobo, il n’y a pas qu’un auteur qui s’essaye à l’humour, il y a toute une tradition de la comédie ; une véritable institution. Et dire que
vous autres, béotiens amusés, vous partiez bille-en-tête lire Bobobo-bo-bo-bobo en vous imaginant pouvoir en rigoler indécemment sans même avoir pris la mesure du génie latent qui sévit derrière les rires. Vous apprendrez qu’on ne plaisante pas avec l’humour.
Quand il ne se trouve en nos contrées qu’un mot pour définir l’art de l’humour, à savoir la comédie – dont la définition est par ailleurs partagée avec la discipline théâtrale – il y a, au Japon, différentes nuances dans l’art de de bien rire. Car c’est un art, mes bons sires ; un art théâtral.
On me dira bien, pour sauver l’honneur, qu’il y a différents types d’humour en nos contrées. Qu’entre le Vaudeville et l’humour noir en passant par l’ironie et même la post-ironie, il y a quelques millions de strates à même de différencier les innombrables variétés d’humour qui sévissent dans le monde. Cependant, ces variétés, pour nombreuses qu’elles puissent être, ne sont pas codifiées et précisément définies comme cela se fait parmi les formes d’humour théâtrales au Japon. L’humour, ou du moins sa variété, est circonstanciée par le contexte dans lequel il s’inscrit et cela, du tragi-comique à la comédie romantique ; il y a même des comédies inclassables rattachés à un auteur en particulier. On peut alors parler de différents genres d’humour, mais pas de disciplines à proprement parler.
Ce n’est pas de ça dont il est question ici. Car tous ces genres seront possiblement déclinés et enrobés par une discipline bien spécifique : le Manzai.
Le théâtre japonais, à toutes dates de son histoire, aura connu cinq grandes disciplines se rapportant à la comédie : le Kyôgen, le Rakugo, le Sarugaku, le Manzai que nous évoquerons ici et le Owarai qui en est une déclinaison contemporaine. Ce n’est pas pécher par excès de pédantisme que de vous rapporter tout cela, c’est aussi pour mettre les mots sur ce que certains – dont moi durant longtemps – considéraient comme indicible. Nous le savons, en tout cas pour ceux qui se sont tentés à quelques dizaines de mangas, d’animes et de films japonais dans nos vies ; il y a un humour typiquement nippon. Une manière d’orchestrer la comédie qui paraît hors de ce monde tant il échappe à ce à quoi nous sommes habitués. On retrouve dans cet humour une tradition de l’absurde savamment maîtrisée. La première fois que j’aie pu rire de cet humour grotesque mais génial, j’avais eu le sentiment de découvrir une nouvelles forme de réaction chimique à répertorier sur le tableau périodique des éléments ; un de ces changements de paradigme lunaire qui vous apprend à rire comme vous ne l’aviez jamais fait avant.
Bobobo-bo-bo-bobo va évidemment au-delà du strict Manzai qui, à l’occasion de son récit, aura été le premier étage de la fusée chargée de le propulser bien haut dans les strates de la comédie. Mais le Manzai, foncièrement, qu’est-ce que c’est ?
Cela part en premier lieu de deux personnages : un Tsukkomi et un Bokke. Le Bokke est un crétin expansif, mais le potentiel de son humour n’est que mieux mis en exergue grâce à la participation assidue du Tsukkomi. Celui-ci est le pendant sérieux du Tsukkomi, celui qui réagit aux imbécilités du Bokke comme le ferait n’importe quel être humain fonctionnel, c’est-à-dire avec ce qu’il faut d’agacement, de consternation et même de stupeur devant l’ampleur des idioties. Sur les planches, au théâtre, c’est bon enfant. Mais quand un bouffon troque les grelots pour la plume, c’en devient dément. Yoshio Sawai n’est pas le premier à s’inspirer du Manzaï dans le milieu du manga, il est cependant un de ceux qui l’aura fait avec le plus de brio. Son humour frénétique et extatique, au milieu de l’agitation de ses planches à lui – celles-ci étant faites de papier – donne l’impression d’un delirium chaotique et cohérent à la fois.
Pourtant, Sawai n’a pas toujours été un grand déconneur. Il aura toutefois étouffé ses rires alors qu’il était l’assistant du regretté Kazuki Takahashi. Yu-Gi-Oh! n’avait pas brillé par son humour et on n’aurait trop su considérer une parenté entre les deux auteurs. Mais, alors qu’il dessinait les décors en silence, Yoshio Sawai, du temps où il était assistant, couvrait ses rires de bouffon glorieux entre des dents serrées.
L’un des traits majeurs de l’humour typiquement japonais tient à l’absurde. Une absurdité qui tient souvent d’un sens maîtrisé de l’aléatoire. On ne sait jamais d’où le comique va venir, et quand on croit le deviner, on se le mange à revers. Une chose est sûre, l’humour frappe toujours avec acuité malgré l’aspect parfois bourrin des gaudrioles qui s’occasionnent alors.
Ce n’est pas un humour nécessairement subtil, c’est un humour qui surprend ; un humour qui frappe sans prévenir et sans remords. Et le tout sévit alors au milieu d’une parodie. Pas celle d’une œuvre en particulier, mais du Shônen en règle général. Et Dieu sait qu’il y a matière au détournement. Ironie du sort – l’ironie n’étant pas une forme d’humour elle aussi ? - Bobobo-bo-bo-bobo trouve le moyen d’être un Shônen satisfaisant tout en démontant un à un les poncifs du genre. Certains se pâment encore de la supposée et fantasmée déconstruction du Shônen opérée par One Punch Man. Ceux-là, à n’en point douter, ignorent jusqu’à l’existence de cette petite pépite dont je fais présentement la recension.
Pour ceux qui se seraient noyés dans le torrent continu de lieux-communs débités à la sauce Shônen, Yoshio Sawai leur tend une main secourable. Oubliez d’abord tout ce que vous savez de l’amitié, les protagonistes sont des raclures sublimes et hilarantes, chacun dans un registre lui étant propre et le tout, copieusement mâtiné d’absurdités. Ici, il n’est pas question de sauver ses camarades en se sacrifiant, mais de sacrifier ses camarades pour se sauver.
Certains trouveront à redire pour ce qui concerne la traduction française dont j’ai la chance d’avoir fait l’acquisition avant que le manga ne soit plus édité par chez nous. La traduction a avisé, retranscrit, réadapté, et cela parce que les traductions littérales n’avaient que bien peu de sens. Tokoro Tennosuke devient Gelée Latremblotte, Heppokomaru devient Peter Odorant… certaines traductions ont effectivement pris trop de libertés avec l’œuvre originale. Cela convient parfaitement dès lors où il s’agit de personnages secondaires et passagers – L’Empereur Chauve-qui-peut par exemple – mais aurait au moins dû épargner les personnages principaux. Les jeux de mots sont légions et, la barrière de la langue font qu’il faut parfois adapter ou bien carrément expliquer à grands renforts de Nota Bene. Ça n’est pas envahissant, mais cela situe en tout cas l’ampleur du travail abattu et des choix qu’il aura fallu envisager. Malgré quelques choix discutables de la traduction, le travail est assez satisfaisant pour ce qui est de l’ensemble.
Les dessins, à compter des premiers volumes sont assez sommaires en bien des occasions. Y’a comme des carences au niveau du trait. Et ces dessins, parfois enfantins, contribuent paradoxalement à mieux crédibiliser l’œuvre en la décrédibilisant pour ce qui est de ses graphismes. D’autant que ceux-ci sont expressifs par-delà tout ce qu’entend la raison. Quand le contexte se prête au ridicule au point même d’être en parti fondé par cette valeur cardinale, des dessins rupestres mais énergiques sont finalement du meilleur effet. Kazuki Takahashi viendra même prêter main forte à son élève le temps d’une planche. Et puis, sans non plus que les caractéristiques des esquisses aient ici ce même charme minimaliste qui se rapporte aux œuvres de One, il y a néanmoins une empreinte singulière dans laquelle on se plaît à y placer ses pas à mesure qu’on suit l’intrigue.
Parce qu’il y a une intrigue figurez-vous. Et c’est là l’une des forces de Bobobo-bo-bo-bobo, une de celles qui ne rend son écriture que plus méritoire. Que ce soit Kochikame, Gintama (avant qu’il ne dérive), Dr. Slump ou encore Pyû to Fuku Jaguar, tous les mangas à seule vocation humoristique se cantonnaient uniquement à des aventures courtes. Cela leur permettait de se renouveler à chaque fois pour aborder la comédie de la manière dont ils le souhaitaient, sans jamais s’embarrasser de l’inconfort d’une intrigue. Créer du gag à partir de nulle part, sans contexte préalable, cela facilite la tâche dans la mesure où l’auteur a les mains libres. Mais Yoshio Sawai doit quant à lui inscrire son humour sur le parcours d’une histoire qui, si elle dérive et déraille à chaque chapitre, en revient systématiquement à son fil directeur. Il ne s’agit pas d’un manga d’aventure qui, incidemment, se trouverait parsemé de frasques humoristiques, c’est une comédie qui aura eu le mérite insigne de se doter d’une trame scénaristique de longue haleine. Quant un mangaka spécialisé dans le rire ne se prête généralement qu’à quelques multiple sprints désopilants, Yoshio Sawai, quand il entamait Bobobo-bo-bo-bobo, s’engageait dans un marathon de longue haleine. On aura beau dire, mais vingt-et-un tomes ayant vocation à faire rire et, qui en plus, trouvent le moyen d’être dotés d’une histoire– même si celle-ci est un prétexte pour officier les gags – ça reste impressionnant.
Le sentiment, à la lecture, d’une improvisation de tous les instants est légitime. La formule d’un manga humoristique suppose de s’en tenir à un événement perturbateur servant d’amorce à l’humour pour un ou plusieurs chapitres donnés. Yoshio Sawai ne déroge pas trop à la recette mais sait suivre la trame qu’il s’est infligé. Rares sont les auteurs de Shônens classiques à se montrer aussi scrupuleux en s’attelant à la rédaction de leur œuvre. Eux aussi improvisent pour beaucoup, mais ils ne se recentrent jamais autour du cœur de leur œuvre et ne prennent jamais la peine de nous faire rire.
Car c’est un art de faire rire. Tous ces gags, cet humour dispensé à foison, on aurait vite fait de le considérer comme acquis. Or, je vous le demande : seriez-vous capable de produire chaque semaine 19 pages à même de faire rire un lectorat potentiel ? Écrire quelques niaiseries Nekketsuesques sans nouveauté ni ambition, c’est à la portée du premier imbécile venu. Faire rire son lectorat constamment, c’est une gageure ; un sacerdoce d’une exigence rare. Les mangakas qui ont pris sur eux d’écrire des Shônens humoristiques sont décidément les plus dignes de louanges quand ceux-ci s’acquittent de leur charge : celle qui consiste à nous arracher des rires en continu. La comédie, dans la fiction, est souvent reléguée à un registre de second plan ; quelque chose de vulgaire qui, en aucun cas, ne saurait être digne de la moindre éloge. De même qu’on enterrait les comédiens de nuit jusqu’au XVIIIe siècle en nos contrées, les mangas humoristiques, trop souvent mésestimés et relégués au rang de distractions de basse-volée, sont trop souvent considérés et même déconsidérés avec un mépris. Oui, décidément, il en faut de la subtilité et de la maîtrise dans son écriture pour savoir faire rire chaque semaine qui vient. C’est un travail inouï, titanesque même, que de faire rire aussi assidûment. Quelqu’un se devait d’adresser les honneurs d’usage à ces mangakas trop souvent toisés du regard si ce n’est même ignorés des bouffeurs de Shônens ; ces coprophages qui ne sauraient pas distinguer le goût des cendres de celui du miel.
Sawai ? Il nous sature sous les gags. C’est pas une petite giclée de temps en temps pour nous arracher un sourire à laquelle on a droit ; plutôt à un tsunami de farces en pleine mousson de couillonnades hilarantes. D’une case à l’autre, il y a toujours un élément pour nous faire rire. Certains auront l’impression qu’on cherche à leur arracher un rire de force, et ceux-là n’auront pas tort… mais peut-on reprocher à un auteur d’essayer de parvenir à ses fins et réussir dans son entreprise. Même les agélastes invétérés se pinceront les lèvres et détourneront le regard de honte à l’idée d’avoir pu rire à une imbécillité qu’ils n’ont pas vu venir. « Comment j’ai pu rire avec une connerie pareille ? » se demande-t-on très souvent. La spontanéité de l’humour, ne fait d’être assailli en continu par les plaisanteries, la variété de l’humour – souvent erratique et imprévisible – font que la forteresse de notre sérieux s’effondrera à chaque nouvelle case qui se reflétera dans notre regard. C’est plus fort que nous, on aura beau lutter, tôt ou tard – et plus tôt que tard – on finira par se marrer. La comédie paraît aléatoire, pareille à une une roulette russe improbable qui tire au gros calibre sans discontinuer. Certains trouveront ça lourd, mais il y aura toujours une balle pour leur toucher le cœur et les faire rire en conséquence.
Il y a une irruption constante de plusieurs couches de saynètes. Chaque chapitre se voulant un cadavre exquis parti de quinze pistes différentes pour donner lieu à une inharmonie joliment ordonnée. Un peu comme si le Kamoulox avait été adapté pour devenir un sport de combat frénétique et déjanté.
La violence picturale est parfois d’une telle puissance qu’elle vous fera rire uniquement parce qu’elle aura à vous montrer en terme de brutalité.
Comprendre Bobobo-bo-bo-bobo, c’est aussi se familiariser avec le concept du « Hajike ». Il s’agit, dans ce manga, d’une forme de philosophie inventée pour l’occasion. Celle-ci repose alors sur une forme bien spécifique de folie aléatoire et expansive ; celle dont le lecteur sera déraisonnablement gratifié à chaque page qu’il sera amené à tourner. Comme quoi, une philosophie cohérente, intelligible et complexe, ça n’a pas nécessairement de se prendre au sérieux pour se concrétiser. Je ne vise personne en écrivant cela. Pas même Planètes.
Quand on peut prévoir les scénarios de certains auteurs réputés « imprévisibles » à cent kilomètres à la ronde, on ne voit pas venir le gag en embuscade s’occasionnant d’une case à l’autre. Chaque case de Bobobo-bo-bo-bobo est en effet une mine qui, si on l’observe, peut nous faire explorer de rire tant on ne s’attendait pas à ce qui nous est parvenu. « Mais qu’est-ce qu... », « Nom de, mais... » ou encore « Juste… mais… quoi ? » seront des expressions amenées à se formuler spontanément et fréquemment dans votre esprit le long de votre lecture. L’humour japonais, c’est d’une telle absurdité que même le commun des mortels ne peut pas appréhender le processus créatif situé en amont. Quand je vous dis qu’il y a du génie chez ces mangakas spécialisés dans la comédie.
Le format d’intrigue de longue haleine permet d’émuler parfaitement les Shônens que Bobobo-bo-bo-bobo ne se prive pas d’écorcher. En épousant exactement le fil d’un récit de Shônen, on peut ainsi calquer le genre tout en le redessinant depuis un point de vue humoristique. Tout y passe, des Flash-Back supposés dramatiques à des combats acharnés d’une débilité insane, rien ne sera épargné par la satire, pas même en une brève occasion : l’humour tire à feu nourri sur le genre en le remaniant à sa sauce. Plus drôle encore… en parodiant le milieu du Shônen et ce qui le compose, Yoshio Sawai, par la seule force de son intrigue débraillée, finit malgré lui par écrire un Shônen infiniment plus valable que ceux dont il se moque et qui ne se seront que trop multipliés depuis sa parution.
Manga humoristique ou non, la constitution d’un groupe de personnages principaux et son lot de personnages secondaires récurrents s’impose. Ceux-là, avec Bobobo-bo-bo-bobo, n’auraient dû être que quelques modestes rouages de l’humour ; des variables servant de prétextes aux gags qui fusent, mais il n’en est rien. De par leurs vices et leurs malfaçons, ils sont tous irrésistibles et trouvent leur place dans l’équipe gravitant autour de Bobobo. Il y a donc Bobobo, un héros à l’ancienne, modelé comme un Kenshiro qui accomplirait les inepties les plus illustres avec un sens du sérieux quasi-inébranlable ; un personnage qui embrasse le ridicule et la bêtise avec droiture et élégance. Avec lui, il y a d’abord Beauty, le Bokke de la bande. Elle a bien du mérite car elle prend sur elle toutes les imbécilités de son groupe, s’égosillant constamment d’une consternation flamboyante. Au fond, c’est elle la plus improbable, car comment un être humain normal comme elle peut supporter de vivre au milieu de spécimens de dingues aussi improbables. La norme-mère de la connerie furieuse ; la valeur étalon de la bouffonnerie frénétique et sans borne, ce sera Don Patchi. Avec ses airs de parodie de Sonic pour ce qui est de son apparence, il est cet enragé infernal prompt à toutes les déconnades caractérisées, ne s’entendant avec aucun des autres personnages principaux avec lesquels il trouve toujours moyen de se quereller. Gélée – Tennosuke dans la version originale – est un partenaire occasionnel des atrocités de Don Patchi, très facile à vexer et souffre-douleur occasionnel, il se prend au sérieux en accomplissant les débilités les plus manifestes du groupe. Il y a Peter - Heppokomaru – le jeune garçon « cool », le Trunks local qui, en plus de s’accorder des combats à la puissance de ses pets, est aussi un personnage sérieux s’entendant bien avec Beauty. C’est un autre Tsukkomi qui, lui, se formalise moins des Bokke. Voilà pour le premier cercle. Mais on retrouve aussi Softon, le personnage classe et impassible dont la tête est modelée en forme d’étron, Hatenko, le beau gosse ténébreux qui, malgré son sérieux, devient irrésistiblement débile pour se conformer à son idole Don Patchi, et puis il a les personnages secondaires. Notamment Exhibman…. notamment.
Yoshio Sawai ne fraye que rarement dans l’humour graveleux, mais ne s'interdit aucune forme de comédie. Le sang lui non plus n’est pas en reste alors que les massacres adviennent toujours dans l’allégresse la plus absurdement hilarante qui soit.
C’est parfois trop aléatoire et forcené pour la finalité de l’être. Comme un gosse qui s’agite pour attirer l’attention sans trop savoir pourquoi. Je vous parle là de chapitres où l’auteur, en panne flagrante d’imagination, a bricolé avec les moyens du bord. L’excès d’absurdité devient alors trop pesant à la lecture. Ce ne sont d’ailleurs plus des élans absurdes, mais simplement des frasques agitées et compulsives particulièrement grotesques. Ces épisodes sont rares passés le cinquième volume, il n’en demeure pas moins qu’ils sont bien présents ; des chapitres pour rien pourrait-on dire, que l’on lit d’un œil plus circonspect qu’amusé. Le chapitre vingt-six s’acceptant alors comme le mont Everest de ce que je décris alors, celui-ci étant poursuivi de quelques autres chapitres similaires lors du combat contre les forces de Tennosuke et lors de l’incursion à Boboworld. Le troisième volume, à maints égards, aura été un tour de force où des improvisations spasmodiques se succédaient sans rien de concret pour les lier entre elles.
Le comique de répétition y est aussi parfois trop répétitif ; quand l'auteur tient un gag, il le répète parfois 15 fois par chapitre. Cela aussi peut être usant. Occasionnel, rare, mais usant ce qu'il faut pour vous marquer.
Qu’on ne se laisse pas toutefois rebuter par les quelques lourdeurs de l’humour, celles-ci, si elles sont désagréables à éprouver le temps qu’on les lit, ne sont finalement qu’occasionnelles.
Bobobo-bo-bo-bobo se transcrit très mal en version animée. Le caractère statique de l’œuvre, quand elle est étalée sur des planches, perd paradoxalement de son dynamisme lorsque tout est animé. On passe du chaud au froid d’une case à l’autre et cette spontanéité comme la surprise qui y est corrélée se perdent en version animée. Les gags du manga fonctionnent principalement grâce au rythme frénétique orchestré par la narration. La moindre lenteur gâcherait tout. Or… les adaptations animées et les lenteurs… Ceux qui auraient renoncé au manga à cause d’une adaptation lourdingue – car c’en était une – devraient clairement s’essayer à la version papier pour en retirer l’humour sans édulcorant.
Ce rythme effréné qui sert si bien l’humour de Bobobo-bo-bo-bobo, c’est aussi lui qui rend la lecture si aisée. Elle va de soi cette lecture, tout s’agite tant et tant qu’on ne voit pas le temps passer ; on se surprend même à vouloir lire la suite pour connaître la suite des combats en cours. Tous ces mangakas qui nous abreuvent et nous noient de combats insipides mille fois vus et revus devraient en prendre de la graine. Car les affrontements ici, s’ils ne sont pas strictement martiaux dans les faits, ont le mérite de l’originalité. Suffisamment pour virer au rang de batailles légendaires. Avec la mise en scène de Yoshio Sawai, après que celui-ci ait pris environ cinq à six volumes pour vraiment établir ses marques narratives, la baston trouve enfin le moyen d’être entraînante par la seule propulsion de l’humour.
La violence exagérée où tout le monde crache du sang au moindre prétexte est très drôle quand elle tombe à pic, pas lorsqu’elle est systématique au point de s’édulcorer un peu plus à chaque nouvel usage qu’on en fait. La lassitude guette. Bobobo-bo-bo-bobo redevient parfois une parodie de lui-même où chacun crie, frappe inconséquemment et s’agite dans tous les sens. Il y a de l’imagination dans la folie, mais il y en a parfois de trop.
L’arc des chasseurs de cheveux d’il y a cent ans était de trop comme avait pu l’être le dernier arc de Hokuto no Ken dont il est la parodie à maints égards. L’âge d’or de Bobobo-bo-bo-bobo se situe de l’arc Gunkan à la défaite de Giga, avec un pic ultime atteint lors du combat contre Halekulani.
J’aurais plutôt opté pour un 4 en ce qui concerne ma lecture dans sa globalité du fait que je n’ai pas ri une fois après l’arc Giga, mais le mérite de l’auteur est grand ; suffisamment pour justifier quelques mansuétudes eu égard à ma notation. Passé le volume 13, la panne d’inspiration était flagrante, aussi ne faut-il pas s'aventurer plus loin. Il aura fallu pousser le scénario péniblement sur huit volumes encore, le tout ponctué d’une suite qui en comptait sept de plus.
De même que lorsque l’on tient un bon gag, il ne faut pas l’étirer au risque de l’user, Bobobo-bo-bo-bobo n’aurait pas dû poursuivre sur sa lancée alors que le clown qui lui servait d’auteur commençait à tirer la gueule.