Poursuivons ensemble cette courte rétrospective de mangas traitant des tourments de l'adolescence et de l'âge adulte précoce dans le Seinen. Celle-ci fait alors suite à ma critique des Fleurs du Mal de Shûzo Oshimi et préfigure la critique d'Errance d'Inio Asano concluant ainsi la thématique en fin de semaine prochaine. Thématique je ne me suis pas infligée de mon propre chef puisqu'elle fut suggérée par un de mes abonnés en la personne de monsieur Nathan B. Qu'il me pardonne d'avoir la dent dure, mais puisse-t-il ne pas s'en étonner pour autant. J'ai comme qui dirait un passif qui me rend prévisible en la matière.


Bokutachi ga Yarimashite ou, «On l'a fait» une fois traduit dans la langue de JUL, aura été scénarisé par Muneyuki Kaneshiro et surtout dessiné par l'estimable Hikaru Araki. Estimable, cet homme-là l'est devenu très vite après que j'ai pu parcourir des yeux ses premières esquisses.

Car les dessins, disons-le, sont plutôt appréciables pour ce qu'ils ont de réaliste, d'abouti et de détaillé, mais avec ce qu'il faut pourtant de minimalisme pour ne pas saturer la partie graphique de l'œuvre. On y trouve même un ersatz – un rien – de côté brouillon qui insinue un sentiment de brutalité diffus dans l’œuvre. Et ce sentiment, qui se distille en guise d’atmosphère, il nous imprègne les rétines à compter des premières cases. L’entrée en matière est déjà réussie alors pas même une ligne de dialogue n’a encore été lue.


L'œuvre, cependant, ne saurait évidemment s'en tenir à des dessins. Alors on nous relate le profil des protagonistes avant de réellement entamer le scenario. Ces personnages, au premier abord, sont méchamment antipathiques. Un poil décalés, mais difficiles à souffrir. Des obsédés pour la plupart dont la monomanie exaspère plus qu’elle n’amuse. Tobio est quant à lui plus appréciable car, nécessairement plus approfondi du fait de son rang de personnage principal.


L’introspection de ses monologues internes aident pour beaucoup à mieux se référer à lui là où les autres font office de PNJ peu ragoutants. Ils ont un aspect réaliste eux aussi, un des mieux travaillés que j’aie pu constater ailleurs ; quelque part hors de ce monde tout en gardant les pieds sur Terre. Ils sont insupportables dans l’ensemble, mais ils ont été conçus précisément à cet effet. Le rendu est donc à attribuer au crédit de l’auteur. Les minables ne sont pas toujours flamboyants et ces personnages-ci nous apparaissent comme des MADAO sans les attraits de l’humour ou la mansuétude d’une mise en scène prompte à les mettre positivement en valeur. Ils sont des minables, tout simplement.


Bokutachi ga Yarimashita est ce à quoi ressemblerait le film Irréversible s’il avait été écrit et joué correctement. Je dois admettre que ce qui nous parvient est globalement satisfaisant à ses prémices.

Le traitement médiatique suite à l’élément perturbateur est exquis. Les victimes – qui étaient opportunément les bourreaux de Maru – sont présentées comme des anges malgré leurs agissements passés. Cela m'a toujours fait rire. L'équivalent nippon du «C'était un si jonti garçon» quand le gentil garçon se traînait un casier judiciaire long comme le bras.


Le manga s'accepte en tout cas une histoire criminelle prenante à ses débuts. Celle du crime parfait où rien n’est parfait et où tout s’avère être cohérent. C’est là que l’on voit qu’avec ce que vaut la réalité humaine – ici bellement rapportée – celle-ci a vite fait de confiner au grotesque. Il y a parfois du Homunculus croisé The World is Mine dans l’idée et ça se marie ma foi pas trop mal.


Je ne vois pas en revanche comment Ichihashi pouvait savoir pour les responsables de l’explosion. La jonction entre l’agression de Maru et l’événement n’était pas évidente à établir. Il n'avait pas même l'ombre d'un faisceau d'indice pour les tenir comme responsables. D’autant que le génie déductif n’en finit pas de se manifester chez lui alors qu’il devine même le code du portable de Tobio pour mieux en faire usage après le lui avoir subtilisé. Il y a des facilités dans le récit qui laissent de gros trous dans l’intrigue. La lecture accuse alors le coup chaque fois qu'on trébuche dans l'un d'eux.


La nouvelle normalité de Tobio après avoir fui, bien qu’elle s’agence assez abruptement, est assez appréciable à constater. La facilité avec laquelle Yangu le laisse s’enfuir alors qu’il allait lui faire son affaire est cependant trop déroutante. Le script laisse tomber des failles scénaristiques mineures pour mieux que ses protagonistes s’y engouffrent. Et ça n’arrête pas. Le chapitre suivant, Maekawa retrouve Maru par hasard en pleine rue alors qu’il avait renoncé à le chercher. Le chapitre suivant, Tobio tombe par hasard sur Renko dans une situation qui prête à malentendu. Il s’enfuit de rage et, dans la foulée, tombe par hasard sur Yayoi qui sortait de la supérette. Et je ne vous parle pas de l’arbre qui prévient par hasard un suicide pour ensuite tomber dans le même centre de réhabilitation qu’un autre personnage…. La coïncidence perpétuelle comme système de guidage du récit, c’en devient insupportable, au point de vous gâcher la lecture si vous prenez la peine d’y réfléchir plus d'une seconde.


La faible envergure des personnages, leurs aspirations conformistes et le fait de ne penser qu’à eux, tout cela transparaît en continu dans l’œuvre alors que chacun ressasse ses objectifs de vie minables. La vie normée qu’envisageait Tobio dans le premier chapitre, morne et mortifère par essence, est peut-être encore plus écœurante que leur cavale d’assassins. Et puis, cette thématique, cette réflexion, finit par être évacuée de l'intrigue. Elle n'était finalement là qu'en tapisserie, histoire de vernir le tout de quelques pensées adolescentes profondes (sic) et justifier des envolées philosophiques finalement stériles quand on les scrute d'un regard rétrospectif. Disons-le, ça voulait se donner un genre à défaut d'incarner le genre.


Et puis, qui, sérieusement, s’en prend à un handicapé comme cela a été fait dans le manga ? On cherche tellement à donner une nouvelle dimension à Ichihashi qu’on vire dans l’outrecuidant à la seule fin de pouvoir donner le change et lui accorder une rédemption en peau de lapin. On n’a jamais été aussi horrible avec un infirme que depuis A Silent Voice. Un coup de genou par surprise dans la gueule d’un estropié en fauteuil roulant, bon Dieu ! Qui pour croire à ça ?


Et j’ignore si l’auteur a été inspiré par Houellebecq, mais tout, à un moment ou un autre, tourne autour de la bite. Je ne vais pas faire de psychologie de comptoir, mais pour avoir lu quelques autres Seinen de la même cuvée… j’en viens à me demander si les Japonais n’ont pas un problème de ce côté-là. Du genre sérieux.


Les drames s’enchaînent sans surenchère, ils sont justifiés. Mais on s’ennuie graduellement. L'histoire d'amour centrale ne vaut même pas la peine d'être mentionnée et le dernier quart de l’œuvre paraît plus long que les trois précédents. La rédemption facile, les bons sentiments, tout cela est si mièvre qu’on s’en détourne instinctivement. La confession des quatre garçons est aussi indécente de bêtise que confondante de niaiserie. Le ridicule ne tue pas dit-on, mais l’œuvre est morte au moins à moitié après cette scène. D’autant que la fin s’étire inutilement dans la gêne et se complaît salement dans un registre convenu à l’extrême qui fait peine à voir. Le manga a bien foiré sa sortie, et il a même pris son temps, avec – pour mieux garnir la merde de saleté supplémentaire – un «dix ans plus tard» que je n’ai que trop vu ailleurs.


Même la petite référence à Hunter x Hunter ne suffit pas à m’émoustiller. Les personnages accèdent à la rédemption quand l’œuvre devient quant à elle impardonnable. Vous aurez beau tortiller du cul et faire la mijaurée du stylo monsieur Kaneshiro ; j'ai bien vu que vous nous avez servi un Happy End bien poisseux.

Josselin-B
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le 24 juin 2022

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Josselin Bigaut

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