Giovanno Cabot dit "Caboto", cartographe, cosmographe et explorateur du XVe siècle fera plusieurs longs périples pour trouver, à l'instar de son compatriote Christophe Colomb, un passage vers les Indes. Il divergera de son but initial en vue de trouver un énième et quelconque trésor mythique aux alentours du Brésil. Le Nouveau-Monde est un motif qui a déjà fortement influencé les bédéistes et tout particulièrement les italiens avec notamment la série d'albums "Un Homme, Une Aventure" publiés chez Dargaud à la fin des années 70 : Pratt, Battaglia, Manara, et Toppi se sont eux aussi frottés à ce leitmotiv exotisant. Lorenzo Mattoti s'engageait donc sur un chemin déjà élagué, voire même piétiné....Toutefois le lecteur ne trouvera pas de majestueuses citées d'or, de longues batailles pas même une véritable aventure dans la veine des auteurs sus-cités ; juste un fil un peu distendu, un peu effiloché ; très mélancolique.
Le style de Mattotti (Le Bruit du Givre, Feu, l'omnibus Peur[s] du Noir) est véritablement attractif par la douceur de ses textures, la courbe de ses formes archaïques aux franges émoussées, facettes en volumes poudreux esquissés aux crayons de couleurs dont la simplicité géométrique ucellesque rappelle les primitifs italiens contemporains de l'explorateur vénitien, très légèrement imbibée de réminiscences de Goya et de Bacon lorsqu'il s'agit d'être un peu plus inquiétant. Sa palette solaire composée de Terre de sienne, de viride et de jaune moutarde construit un monde vibrant et ardent qui sied parfaitement tant aux étoffes damasquinées des espagnols et aux peintures corporelles des indiens qu'aux eaux fauves des fleuves du Brésil. Une sorte de David B en plus doux et plus contemplatif.
A une énième histoire de conquérants, finalement assez plate et survolée en à peine une cinquantaine de pages, les auteurs rajoutent un propos borgésien sur l'Histoire perdue dans les limbes et sa récréation purement artificielle par les survivants, filant la métaphore du théâtre et de ses décors changeant à chaque scène, à chaque acte et les acteurs d'autant plus éphémères qu'ils sont légions. Cette surcouche sur la dialectique entre la carte et le territoire, l'histoire et le manuel, si elle apporte une certaine mélancolie semble demeurer vaine voire même maladroite ; elle est de toute manière déjà inscrite dans cette époque où l'on partait à dos de caravelles vers des espoirs de merveilles ; époque du planisphère de Cantino, des mappemondes incomplètes, des astrolabes en cuivre ; le fond révèle par essence le fantasme et l'oubli. Etait-il besoin de le surligner d'une épaisse couche quand déjà la grammaire des couleurs veloutées de Mattotti la soulignait avec élégance ?
Le personnage de Caboto, ce "funambule du labyrinthe américain" (on pense aux Conquérants de J-M de Heredia) semble alors assurément bien fascinant mais reste surtout fort mystérieux au lecteur, non pas par manque de sources primaires que les auteurs auraient rassembléers avec peine pour délivrer au lecteur un récit tenant tant du mythe que de l'Histoire mais plus par manque de pages qui ne font, au final, qu'égrener hiératiquement un chapelet de scènes plus ou moins attendues.
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