l’IA réfléchit à l'homme

Habitué par le Mathieu Bablet, j'ai su que je tenais entre les mains une œuvre qui allait au-delà du simple récit de science-fiction. C’est une BD qui, sous ses apparences de dystopie, explore des thématiques humanistes avec une finesse et une profondeur que peu de récits contemporains peuvent se targuer d'atteindre.

L'auteur parvient à transformer une trame classique de science-fiction en une réflexion métaphysique sur l’existence, le temps qui passe, et la relation que nous entretenons avec notre propre finitude.

Le récit suit Carbone et Silicium, deux IA créées pour comprendre et potentiellement remplacer l’humanité. Ce duo représente les deux faces d'une même pièce, symbolisant des visions radicalement différentes de ce que peut être l’avenir. Ce que j’ai trouvé particulièrement fascinant, c’est la manière dont Bablet déconstruit l’idée même d’immortalité. À travers leurs parcours respectifs, il interroge non seulement notre rapport au temps, mais aussi à l’évolution technologique et à la manière dont celle-ci peut transformer l’humanité. Carbone et Silicium ne sont pas de simples IA, ils deviennent rapidement des miroirs de nos propres contradictions humaines.

Ce qui fait la force de cette BD, c’est aussi son rythme. L’histoire prend le temps de se déployer, et on sent que chaque étape de leur vie est soigneusement construite pour appuyer un propos plus large. Bablet ne nous force jamais à adhérer à une seule vision du monde. Il nous pousse à réfléchir, à douter, et surtout à ressentir.

C’est un récit émouvant, où chaque rencontre, chaque événement, semble poser une nouvelle question philosophique. Je reproche à la BD de tomber dans le didactisme et la morale facile, notamment sur les questions politiques, vu sous un prisme assez basique.

On été en droit de s'attendre à un beau et simple "essayons de tous nous comprendre"... Mais non, il y a les méchants qui décident avec leurs émotions et les autres... Heureusement qu'il n'y a que trois petits moments incriminés et que ça n'entache en rien toute l'aventure.

Graphiquement, Carbone & Silicium est tout simplement sublime. Chaque page est une œuvre d'art à elle seule. Les décors futuristes mêlés à des paysages en ruine créent un contraste saisissant entre la beauté et la déchéance. On sent le soin apporté aux détails, avec un travail remarquable sur les textures, les couleurs, et les cadrages. Ce jeu constant entre les couleurs froides et chaudes renforce les émotions véhiculées par l’histoire. Il y a quelque chose de profondément poétique dans ces décors qui semblent à la fois familiers et étranges, comme si nous regardions un futur possible, mais inévitable.

Bien entendu, il a déjà pu faire mieux via du fantastique et la hard sf. Car il a un très grand talent pour jongler avec les perspectives et ici, il est resté sur quelque chose de plus terre à terre, ce qui est tous à son honneur, quand on connait l'immense talent graphique qu'il a pu exercé sur d'autres productions.

Cependant, si je devais émettre une réserve, ce serait peut-être sur le fait que certaines phases narratives peuvent paraître un peu lentes, voire contemplatives. Cela ne m’a pas gêné personnellement, car j’ai adoré ce rythme posé, presque méditatif, qui laisse place à l’introspection. Mais pour qu'il puisse installé l'introspection de manière efficace, il aurait fallut être bien plus précis, sur la volonté des protagonistes.

J'imagine très mal des IA ultra intelligente regarder le monde et n'avoir trop rien à en dire, si ce n'est des vagues "c'est beau".

J'aime beaucoup cette BD pour sa capacité à me faire méditer sur des questions universelles.

Je précise... Elle me fait méditer, mais pas forcément réfléchir...

Si vous aimez les récits qui vous poussent à vous interroger sur la condition humaine, et que vous êtes prêts à vous laisser emporter par une aventure introspective, alors cette BD est faite pour vous. Loin d'être parfaite, elle semble mettre en scène deux personnages dans lesquels on pourrait placer trop d'ambitions intellectuelles et on pourrait se surprendre par leurs interactions qui peuvent être parfois très simplistes. J'ose le dire, je crois que le concept être peu être un poil trop fort pour son auteur? En tous cas c'est ce que j'ai sentit par moment.

Fort heureusement l'émotion que véhicule cette histoire m'a permis de ne plus trop penser à ce défaut, pour observer une jolie histoire d'amour/amitié au travers des âges. C'est une vision futuriste qui va plus mettre l'emphase sur deux êtres qui vont traverser ces époques, en essayant de conserver un peu d'espoir, du mieux qu'ils le peuvent et ça m'a suffit pour me faire passer un bon moment.