Le poids du vent
S’il est un livre qui a attiré l’attention en cette année 2020 au milieu des présentoirs bien garnis en Bandes Dessinées, c’est le "Carbone & Silicium" de Mathieu Bablet, un auteur follement...
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le 18 déc. 2020
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8
Avec Carbone et Silicium, Mathieu Bablet se perfectionne et gomme les défauts que l’on pouvait trouver dans son œuvre précédente, Shangri-La. Le plus surprenant, c’est que là où dans Shangri-La, il peinait à nous faire ressentir de l’empathie pour son héros humain « Scott », il arrive, dès les premières pages de sa nouvelle bande dessinée, à nous captiver pour la personnalité de Carbone et Silicium qui sont… des androïdes. Mais quels androïdes !
Pendant 270 pages et tout au long d’autant d’années de vie, nous suivons le parcours de ces 2 robots destinés à survivre dans un milieu plus qu’hostile : notre bonne vieille Terre, enfin ce qu’il en restera dans un futur proche. A travers leurs yeux (et uniquement à travers eux), on assistera à l’évolution de la société au fil du temps. Pas de vision globale donc, pas de perception de la situation d’un autre point de vue, politique, économique ou environnemental. Et c’est la grande qualité du livre : pas de grands discours ou dialogues nous expliquant la situation, les enjeux ou les solutions envisagées. L’histoire est découpée selon la vision de Carbone à différents âges. Parfois les chapitres sont courts et presque uniquement graphiques, mais sont d’autant plus percutants (Los Angeles ou Hong Kong par exemple). Chaque chapitre commence par un gros plan du visage de Carbone, un gros plan qui est souvent très éloquent et dont l’esthétisme léché me fait penser aux magnifiques affiches qui ponctuent également les chapitres de la série Saga de Vaughan et Staples.
Avoir choisi des protagonistes plus ou moins immortels comme ces androïdes, c’est très efficace pour un récit de SF qui se déroule sur des centaines d’année : le temps passe, mais l’attachement aux personnages reste inchangé pour le lecteur. A l’ère actuelle des quinquennats et septennats qui manquent cruellement de vision à long terme, cette histoire qui se déroule sur plusieurs centaines d’année fait un peu rêver (même si la situation décrite y est majoritairement dramatique). Avoir fait de Carbone et Silicium des spectateurs et rarement des acteurs de l’avancement de l’intrigue de l’humanité est un très bon parti pris, une manière pour nous de s’identifier et de… profiter de la débâcle.
Les qualités graphiques de Shangri-La sont toujours évidemment présentes, mais sont ici magnifiées par la grande richesse que peuvent apporter les paysages terrestres. Nous ne sommes plus enfermés dans une station spatiale, mais dans des paysages (urbains ou non) beaucoup plus variés, grâce aux nombreux voyages qu’effectuent les 2 robots (surtout grâce au globe-trotter Silicium). Au niveau des personnages aussi, Mathieu Bablet s’est davantage lâché avec des personnalités graphiques plus contrastées, variées et intéressantes. Il faut dire que les protagonistes étant majoritairement des robots ou des humains augmentés, la liberté et l’originalité graphique est immense… et les choix de Mathieu Bablet ne sont pas anodins. Lorsque (spoiler) Carbone passe son année 247 à Hakone dans un corps reconstitué mi-féminin mi-masculin, le symbole est énorme. Et encore une fois, Mathieu Bablet a énormément gagné en subtilité depuis Shangri-La, car sans y toucher, il évoque la transidentité probable du futur de l’humanité. Dans le même chapitre, les vues d’Hakone sont magnifiques, mais d’un tout autre genre que celles que les touristes actuels peuvent admirer.
Le propos général sur les ravages de la robotisation, de l’ultra-connexion ou plus généralement de l’industrialisation est amené de manière plus subtile que dans Shangri-La également. Pas besoin de mots, le lecteur a la « surprise » (ou plutôt l’horreur) de découvrir par hasard dans une case un corps ressemblant comme 2 gouttes d’eau à celui d’Alan Kurdi ou les viscères d’un goéland mort d’avoir ingurgité trop de plastique. Simple, et efficace.
Je disais que les personnages principaux ne sont pas humains, mais en fait, bien entendu, ils sont à 100% humains, tels que l’a voulu leur créatrice Noriko. Bien sûr, leur capacité à se réparer eux-mêmes et à survivre dans des conditions inhumaines influe sur le scénario, mais au fond, ce sont deux êtres sensibles, avec leurs défauts et leurs qualités, leurs pulsions colériques ou suicidaires, leurs choix de vie en somme, très différents entre Carbone et Silicium.
Tous les futurs envisagés pour l’humanité m’ont plu. Ils sont peut-être dramatiques, mais je n’ai pas ressenti forcément le côté apocalyptique de la chose. Parce que dans toutes les situations, Mathieu Bablet montre que l’humanité subit mais survit aussi. Il y a des moments de violence et de malheur bien sûr, mais aussi des moments de vie. Une famille qui se rassemble, un groupe qui s’organise, des amis qui se réunissent. Les avancées technologiques esquissées m’ont séduites également. Le transhumanisme dans son sens de quête de l’immortalité est par exemple évoqué de façon bien cruelle dans le vieillissement de Noriko tandis que le transhumanisme dans son sens d’augmentation des capacités mentales est brillamment illustré par l’hyper-connexion générale dans le réseau. A un moment donné, Mathieu Bablet nous montre des aéroports désertés, non pas par conscience écologique mais bien parce qu’il est devenu inutile de se déplacer. Bien vu !
L’effondrement de l’humanité est écrit, annoncé et planifié, mais il n’a jamais été aussi beau à regarder !
Critique publiée ici sur Le Bouquin de Firmin : https://lebouquindefirmin.com/2021/08/mathieu-bablet-carbone-et-silicium/
Créée
le 12 août 2021
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