Cette bande-dessinée réalise ce dont seuls les chefs d'oeuvre sont capables : questionner des sujets multiples et complexes sous une apparente simplicité, avec sobriété, sans jamais tomber dans le mélo.
Alors oui, c'est angoissant et profondément mélancolique. Le sentiment que j'ai eu en refermant la bande dessinée m'a rappelé celui que j'avais eu devant le générique du dernier épisode de la série Six Feet Under. C'est banalement triste. C'est la vie. Pas besoin de rebondissements incroyables, de sortir les violons, de faire mourir tragiquement un personnage auquel le lecteur naïf s'est attaché.
Simplement le temps qui passe, une vie dont on est de plus en plus le spectateur. C'est vraiment comme cela que j'ai compris cette "fable" (qui reste bien ancrée dans le réel, ce qui renforce cet aspect "banalité du quotidien") : le Lubin que l'on aime dès les premières cases pour sa vitalité, sa vie de saltimbanque, ses amis chouettes, sa famille chaleureuse, va se désagréger progressivement pour laisser la place au Lubin "adulte", conformiste, froid et calculateur, si bien intégré à la société. Et les moments de respiration, où l'on comprend que le temps passe et qu'il faut dire à nos proches que l'on tient à eux, où l'on a envie de passer la nuit à se marrer et faire des trucs absurdes avec un vieil ami, se font de plus en plus rares... jusqu'à ce que l'on se contente finalement de rêver ces moments et de s'en satisfaire, sans avoir plus besoin de les vivre. Spectateur donc.
Mon petit bémol serait le dessin, que j'ai trouvé un peu trop froid, lissé. J'aurais aimé voir les traits se brouiller progressivement, suivant la fréquence des absences de Lubin par exemple.
Voila, j'ai passé un dimanche après midi triste, mais je ne regrette rien.