L'obsédant ciré jaune de la petite Lilie
Publié aux éditions Grand Angle (la collection réaliste des éditions Bamboo), le roman graphique « Ceux qui me restent » est l’une des toutes bonnes surprises de ces derniers mois. Simple, touchant, sensible, il raconte, tout en retenue, l’histoire d’une relation manquée entre un père et sa fille. Lui, c’est Florent. En plein coeur des événements de Mai 68, il tombe fou amoureux de Jenny, une jeune Anglaise. Elle accepte de l’épouser, mais leur bonheur ne dure pas: à peine quelques années plus tard, il se retrouve veuf. Alors qu’il a déjà beaucoup de mal à s’occuper de lui-même, Florent doit donc élever seul leur fille de cinq ans, ce qu’il fait la plupart du temps très maladroitement. Cette fille, c’est Lilie. Depuis son adolescence, elle fuit son père, à qui elle reproche encore et toujours d’avoir trompé sa mère et surtout de n’avoir pas su la rendre heureuse. Mais aujourd’hui, alors que son père a 70 ans et souffre de la maladie d’Alzheimer, elle vient le voir tous les jours. Quant à lui, il est de plus en plus désorienté, mais il cherche compulsivement Lilie dans ses souvenirs confus. Qu’est-ce qui est réel? Qu’est-ce qui ne l’est pas? Ce qui est fort dans « Ceux qui me restent », c’est que le récit ne répond pas vraiment à cette question. C’est précisément cette confusion permanente entre la mémoire défaillante de Florent et la réalité qui permet aux auteurs Damien Marie et Laurent Bonneau de souligner de manière souvent très émouvante les ravages d’Alzheimer et l’importance de dire à ses proches qu’on les aime avant qu’il ne soit trop tard. L’obsession de Florent se focalise surtout sur un épisode qui le hante: lors du retour en bateau d’Angleterre vers Cherbourg, après l’enterrement de Jenny, la petite Lilie, 5 ans, demande à son papa si elle peut aller toute seule s’acheter un coca. Mais la fillette, pourtant habillée d’un ciré jaune facilement reconnaissable, disparaît de façon inexplicable. Florent, pris de panique, la cherche alors partout sur le bateau, tandis que dans le même temps, la mer est de plus en plus démontée… Le scénario de Damien Marie raconte l’histoire de deux êtres qui se cherchent sans jamais vraiment se retrouver, avec des dialogues qui sonnent juste. Mais ce qui distingue surtout « Ceux qui me restent », ce sont les dessins et les couleurs de Laurent Bonneau, car ils sont tout simplement exceptionnels. C’est son graphisme très particulier qui donne à ce récit un niveau d’intensité et d’émotion rarement atteint en bande dessinée. Cet obsédant ciré jaune, par exemple, que Florent croit apercevoir partout, est une formidable trouvaille graphique. Quelques mois après « La tête en l’air » de Paco Roca, « Ceux qui me restent » aborde la maladie d’Alzheimer d’une manière totalement différente, mais avec tout autant de réussite.