J’avais déjà lu cette bédé. Il y a longtemps. Je crois bien que c’est même avec ce premier album que j’avais découvert le style coup de poing d’Ardem. Je me rappelle le « choc » que cela avait suscité pour moi.
Le scénario est simple, mais foutrement efficace, solide par son équilibre et également par sa puissance dans l’émotion. Les hommes qui y sont décrits sont particulièrement odieux. Cela va de soi dans un scénario d’Ardem. Mais l’on voit très bien avec la fille d’Héléna que cette cruauté, ce rôle pervers n’est pas l’apanage des mâles. Ce personnage est très ambigu. La jeune fille joue avec la libido de ses “prétendants” et se montre très froide, voire effectivement cruelle avec sa mère.
De fait, Héléna se retrouve prise entre deux feux, soumise à deux formes de violence qui affaiblissent d’autant plus sa position. Le jeu humiliant auquel se livrent les hommes sur les femmes est une nouvelle fois au centre de l’histoire. Les femmes sont réifiées, dégradées. Quant aux hommes, sadiques, ils jouissent pleinement, sans barrière, de leurs positions favorables.
Bien évidemment, pour que cela soit à peu près crédible, les femmes subissent sans révolte pour des raisons qui peuvent paraître obscures. Ici, Héléna veut préserver son image au sein de l’entreprise pour ne pas perdre son emploi, ses privilèges. Si l’on accepte ce préalable, l’histoire est intense grâce à une très bonne écriture qui maintient la tension et même une sorte de suspense tout le long du récit.
Forcément, le lecteur est outré et ne comprend pas la passivité d’Héléna devant les exorbitantes demandes de ses maîtres chanteurs, ce qui augmente d’autant la sourde colère qui s’amplifie au fil de la lecture. J’ai bien conscience du fait que ce schéma, toujours à peu près le même dans les bédés d’Ardem, peut avoir de limité, comme c’est souvent le cas pour les sous-genres, que ce soit dans l’érotisme ou l’horreur par exemple. Mais c’est aussi un très bon moyen de déceler la capacité de renouvellement, d’enrichissement d’un auteur obligé de réécrire toujours la même histoire. Ardem montre dans ce cadre étroit une belle invention, jouant sur les intensités, le rythme et le réalisme de ses récits pour parvenir à proposer une lecture animée, incroyablement vivante.
Au final, je me demande si dans ce genre de bédé ce premier tome de Chantages n'est pas le meilleur, par sa précision, son détail...
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