Je vous vois venir tout de suite, bande de petits margoulins, pleins d'une juste colère: "Quoiiiii mais c'est ignoooooble, c'est complètement con de comparer Naheulbeuk et Chaosland juste parce que les deux fleurent vaguement la fantasyyyyy, ça n'a rien à voiiiiiir, remboursez nos invitations!"
Certes, certes, j'entends bien. Il est vrai qu'on a fait bien mieux que Naheulbeuk dans le domaine de la bédé heroicomique depuis (et même à l'époque). Mais pour comprendre en quoi Chaosland essaie d'être originale, et en quoi elle se plante, il faut la comparer à la tradition de bédés inaugurée (ou en tout cas popularisée) par Naheulbeuk.
Dans Naheulbeuk, le principe est extrêmement simple: on prend une partie de jeu de rôle bien typé D&D, avec tous les clichés qui vont avec les rôles, on ajoute des blagues de cul et roulez jeunesse. Personnellement, je n'ai jamais été un grand fan, mais c'est sans doute parce que je ne suis pas un rôliste au départ, donc le côté madeleine de Prout (lolilol) qui fait rire les habitués ne me parle absolument pas; de plus, la propension de toute parodie à faire rire dépend toujours en grande partie de la connaissance intime de l’œuvre parodiée, et si je ne suis pas étranger aux univers de fantasy celui de D&D m'est, je l'avoue, inconnu. Mais bref.
Chaosland refuse majoritairement d'emprunter le chemin de la parodie. Ici, on s'attache assez peu aux clichés habituellement attachés au rôle de chaque personnage; on ne mentionne même pas une seule fois leurs forces ou leurs faiblesses en combat, et les seuls qui sont identifiés par une étiquette sont les magiciens (mais c'est bien parce que les autres sont dépourvus de magie). À cette voie que d'aucuns qualifieront de facile, Chaosland préfère celle, moins empruntée, de l'humour absurde. Et c'est là que le bât blesse. Quand on fait de l'humour absurde, il faut vraiment, vraiment être sûr de son coup, parce que c'est extrêmement difficile à doser. De la même manière que l'humour noir peut très vite devenir juste dégueu ou insultant, l'humour absurde court le risque de perdre complètement le lecteur s'il part un peu trop loin, ou de tomber au niveau de la blague carambar s'il reste au ras des pâquerettes. Et pour le coup, Chaosland se plante dans les grandes largeurs: l'écrasante majorité des blagues sont ratées, et l'accumulation apparemment infinie de détails absurdes (qui a pour unique but, semble-t'il, de garder le livre hors du champ de la parodie) lasse assez vite.
Après tout, pourquoi s'embêter à lire une histoire sans queue ni tête, ou les actions et réactions des personnages n'ont aucune réelle logique, et qui ressemble, somme toute, plus à une "private joke" impossible à partager qu'à une réelle œuvre de fiction où les auteurs rient avec leur lectorat?