Comme au bon professeur Tournesol dans Tintin et les Picaros, les pyramides mayas ne semblent guère réussir à l’impératrice Charlotte - décalage trop brutal entre les platitudes belges et les moites hauteurs précolombiennes ? Mais s’il y a vraiment UNE chose que Tryphon et Carlotta détestent, c’est faire le Zouave : un malheureux factotum des geôles mexicaines en fera les frais. Nul doute qu’à tout prendre, il aurait préféré être malmené en scaphandre orange sur les routes syldaves.


Si je digresse ainsi d’entrée de jeu, c’est parce qu’à l’inverse de ses deux prédécesseurs, ce tome 3 de Charlotte, impératrice a peiné à retenir mon attention par ses seules qualités. Ces dernières ne sont pas inexistantes, loin s’en faut, mais Fabien Nury et Matthieu Bonhomme ne les déploient pas aussi expertement qu’ils ont pu le faire par le passé ; peut-être parce que contrairement á ce que son titre suggère, Adios, Carlotta n’est pas un album de clôture (la longévité du personnage titulaire aurait rendu la chose étonnante) mais de transition.


Ce qui faisait la réussite des deux précédents tomes, ce savant mélange de Grande Histoire du XIXe siècle et de petites histoires toutes en passions et mesquineries, donne ici la part belle à ces dernières aux dépens de la première. Certes, un conciliabule entre Charlotte et son pédant époux Maximilien fait étalage de la dimension intercontinentale des délires de grandeurs dynastiques du Habsbourg, et par là de l’autre "Grand Jeu" auquel se livrent Européens et Américains, mais c’est bien tout. Le reste n’est que séduction, éducation sexuelle, coucheries et humiliations, et pas forcément dans cet ordre. Plus Dynasty que dynastique, en somme.


On sent que le scénariste Fabien Nury en est conscient, qui essaie de "pimenter" (sans mauvais jeu de mots, le Mexique comme le capitaine Haddock ont assez souffert) l’ensemble ou de lui apporter un peu de profondeur métaphysique avec ce leitmotiv de la vieille légende mexicaine sur la création de Tenochtitlan, mais c’est assez emprunté et peine à se justifier, en fin de compte. Nury aurait mieux fait de s’abstenir, son récit aurait peut-être gagné en fluiditité.


Malheureusement, et c’est encore plus surprenant, le dessin de l’excellent Matthieu Bonhomme accuse lui aussi le coup, malgré les longs délais de création (cinq ans depuis le premier tome et trois depuis le deuxième). Ce n’est pas flagrant, mais en dépit de plusieurs belles planches et d’une maîtrise inchangée des décors et espaces, j’ai trouvé ses visages singulièrement moins expressifs que précédemment. C’est particulièrement regrattable dans le cas de Charlotte elle-même ; difficile de continuer à éprouver de la sympathie pour elle lorsqu’elle paraît afficher un masque froid et hautain. J’ai un instant songé que c’était exprès mais non, tous les personnages sont concernés.


Je ne veux pas donner l’impression qu’Adios, Carlotta est autre chose qu’un album de BD historique fort plaisant à lire d’une seule traite, comme les deux tomes qui l’ont précédé, mais je ne peux pas non plus réitérer ma dithyrambe de ces derniers en ce qui le concerne : tant au niveau du scénario que des dessins (et des couleurs, d’ailleurs, parfois un peu plus fades également), il y a tout simplement moins à en dire, moins à revisiter.


Espérons que cette relative baisse de qualité ne soit que passagére ; passagère, comme son infortunée héroine, qui s’apprête á faire un voyage dont elle ne reviendra pas, au propre comme au figuré. Si Tintin a encore démontré quelque chose, que l’effrayante couverture d’Adios, Carlotta vient rappeler, c’est que lorsqu’on est Belge, une fois, il ne fait pas bon profaner la terre sud-américaine...

Szalinowski
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le 12 juin 2023

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