Une Bd assez perturbante, je dois dire.



Je constate que parmi les commentaires, si on soulève l'objectivisation extrême du corps de la femme, personne ne semble avoir souligner le phénomène pour les hommes. Dans ce monde où les femmes ne sont rien de plus que des utérus, la question se pose: que deviennent alors les besoins sexuels de 99% du reste de la population? Certes, si quelques rares femmes sont prostituées, reste que dans ce contexte, il faut alors se tourner vers les hommes. Nait alors une sorte d'interclasse de genre, des hommes travesties en femmes, mais ayant le rôle sexuel qu'on leur prête également. Chen en est d'ailleurs devenu "une", pas vraiment pas choix. Il y a donc une dimension de violence sexuelle au masculin dans cette histoire. La scène avec le jeune homme en peignoir rouge, qu'on a carrément sodomisé à mort, dans un viol collectif d'une vingtaine d"hommes, était particulièrement atroce, même si on ne voyait pas les détails de cette scène. le "propriétaire" de Chen l'a même empêché de porter secours à ce jeune homme, laissant la "meute" de mâles achever leur sinistre dessein et l'encourageant à "enterrer le corps", une fois son calvaire terminé.Le degré de déshumanisation de cette scène était terriblement glaçant. En outre, il illustre un phénomène non pas moins réel, celui des pulsions refoulées, qui a en outre expliqué pourquoi des milliers d'hommes d'Église ont violé des enfants, dont de nombreux garçons surtout, parce qu'on leur empêchait de vivre leur sexualité. J'imagine sans mal des exemples de part le monde qui illustre un contexte similaire. Qu'on le veuille ou non, les besoins sexuels existent et tout primaire qu'il soit, sont donc normaux. Ce qui l'est moins et c'est là l'horreur de la situation, ce sont toutes les constructions sociales autours d'eux, qui permet aux hommes de violer, aux femmes d'être soumises, aux "hommes moins virils" d'être "faibles", etc. Ce sont des dimensions sociales qui expliquent pourquoi on permet des à des gens de se classer entre eux et de passer leurs besoins avant ceux des autres. Bref, la BD illustre tout ça assez bien.



Ce qui marque aussi dans cette BD est la façon d"avoir bâti certaines parties comme un documentaire, enchainant les dates et les faits comme s'ils s'étaient bien déroulés. Ces parties témoignent aussi de la logique et des causes de la débâcle "actuelle" en Chine, au moment où se déroule cette sinistre histoire. On est surtout dans les enjeux démographiques, mais aussi dans les moeurs chinois, dont l'un est malheureusement véridique: le fait d'avoir 11 hommes pour une femme en 2020 est le résultat de la politique de l'enfant unique, n'ayant plus cours actuellement, mais qui a engendré un monumental féminicide de masse, que ce soit pas abandon, meurtre ou avortement. Une des raisons est purement sociale: la fille devient la "propriété" de la belle-famille, les parents ne veulent donc pas d'un enfant qui ne pourra pas prendre soin d'eux à leur vieux jours. Donc, une part de la bd est historiquement réelle, de 1980 à 2022. Quand je parlais de constructions, en voici une édifiante.



La radicalisation des femmes était prévisible, dans cette histoire. Si "le sang appelle le sang" reste un concept débattable, le fait de recalibrer la balance d'injustice sociale, elle, est tout-à-fait légitime et plausible. Cela illustre aussi une chose: Contrairement au profil établit par le patriarcat de la femme soumise, docile, stupide et porteuse de plaisir charnels, on a ici des femmes radicales, agressives, soudées, courageuses et porteuse d'une rage qui trouve ses racines dans la guerre qu'on leur livre pour leur utérus. Même physiquement, elles ont un look de guerrières aux allures punk et de gang de rue, très loin des jolies petites demoiselles chinoises qu'on est habituées à voir. Difficile, au regard de leur conditions et de leurs enjeux, de leur en vouloir d'être ainsi polarisées, il s'agit de lutter pour leur vie et leur liberté, après tout. Des vies et des libertés encore une fois placé dans les axes du sexe et du pouvoir par l'argent et la naissance. Un monde tordu qui a produit des femmes extrémistes, des hommes effacés et des salauds déshumanisants.



Ce n'est pas une BD divertissante, c'est une BD engagée et qui dénonce des réalités actuelles. Le commerce du corps féminin existe. L'homme soumis existe. La guerre des sexes existe aussi. Oui, le cadre est nouveau, mais les enjeux n'en sont pas moins vraisemblables. Au fond, l'auteur a simplement poussé plus loin ces enjeux, comme Margaret Atwood l'a fait avec ses servantes écarlates. On interroge l'avenir, des valeurs et des enjeux sociaux et ses potentielles dérives. C'est donc une BD qui heurte de pleins fouet et qui reste en mémoire, assurément.



Pour un lectorat adulte.



** Comporte des scènes pouvant heurter la sensibilité de certains Lecteurs.

Shaynning
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes BD en Chine et Olibrius: La violence sexuelle faite aux hommes ( BD/Manga)

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le 19 nov. 2023

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Shaynning

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