Buddy, vieux cow-boy à l’aspect hirsute et au cœur tendre, partage sa vie avec son ami Terry dans le Far West d’antan. Avec une certaine nostalgie, il raconte sa rencontre inattendue avec Lucky Luke, le cow-boy le plus célèbre de l’Ouest sauvage, avec qui il passa durant sa jeunesse quelques jours dans les montagnes à garder un troupeau de vaches… Dit comme ça, on pense à « Brokeback Mountain », sauf que Luke ne mangeait pas de ce pain-là, même si Buddy, lui, était quelque peu émoustillé…


Si les suites, préquelles et autres variations ont fleuri ces dernières années à partir de la série d’origine, il faut avouer que l’on ne s’attendait guère à ce que Ralph König rende lui-même hommage à Lucky Luke. Pourtant, comme à peu près tout amateur de BD normalement constitué, l’auteur allemand, plus connu pour ses comédies burlesco-existentielles sur le milieu gay, a forcément lu au moins une fois dans sa vie les aventures du célèbre cow-boy solitaire. Alors après tout, pourquoi pas ? Reste la question suivante : les deux univers allaient-ils pouvoir fusionner par le biais d’une alchimie probante ?


Dans l’introduction, le lecteur fait connaissance avec Buddy, vieux barbu hirsute et ventru, et Terry, même tranche d’âge mais d’un gabarit beaucoup plus modeste, qui semble être son compagnon de vie. A la demande d’un auditoire invisible, qui peut être le lecteur, Buddy va raconter sa rencontre avec le célèbre cowboy du temps de sa jeunesse (oui oui, figurez-vous que vous avez très très envie d’avoir des détails sur cette rencontre mémorable !). Même si ça ne saute pas aux yeux, Buddy est gay, mais un gay qui pourrait sortir tout droit d’un bar pour vieux « bears » joufflus portés sur le cuir (il faut dire que depuis « L’Automne dans le pantalon », la prise d’âge semble être devenue une préoccupation chez König, 61 ans au compteur…).


Comme on pouvait s’y attendre, l’auteur des « Nouveaux mecs » ne s’est pas départi de son humour décalé, toujours pas mal en dessous de la ceinture (de cow-boy), et on n’est guère surpris de trouver un « job center » dans la petite ville de Straight Gulch, là où commence le récit de notre ami Bud, encore rouquin à l’époque… C’est donc au pôle emploi local que Lucky Luke va se présenter et croiser la route de ce dernier, au milieu d’une galerie de personnages improbables, dont un fabricant de chocolat suisse en quête de recrutement… Le cow-boy solitaire conduira les vaches de M. Sprüngli — qui veut du lait de qualité pour mieux vendre son chocolat en Amérique — dans une prairie à l’herbe fraîche et généreuse en compagnie de Buddy. Curieusement, notre héros semble peu soucieux de se compromettre avec celui qui a déjà une réputation sulfureuse dans un coin où il vaut mieux avoir l’air viril et hétérosexuel…


En fait, on ne parvient pas trop à déceler ce que Lucky Luke a derrière la tête en invitant Bud à être son co-équipier. Recherche-t-il une nouvelle expérience en allant « cueillir le pissenlit » avec son nouveau pote ? Envisage-t-il un coming-out ou voudrait-il juste l’allumer un peu pour vérifier son pouvoir de séduction auprès de la gent homo ? Bref, on ne sait pas trop, c’est flou et ça bande mou, et c’est bien là que le bât blesse. D’ailleurs, la narration s’enlise très vite, si tant est qu’elle n’était pas déjà enlisée dès le départ. Ralph König, avec cet hommage, semble avoir renoncé à l’audace à laquelle il nous avait habituée. On est entre le trop peu et le pas assez, si l’on excepte l’abondance textuelle (à défaut d’être sexuelle, et là encore, la libido des personnages semble en berne, on a connu un König plus enclin à traiter avec humour de ses obsessions queutardes). Et ça, on le savait aussi, les ouvrages de l’ambassadeur de la BD gay teutonne sont bavards. Ce n’est pas un problème lorsque les gags sont drôles, sauf qu’ici rien ne fonctionne, et que par conséquent cela paraît encore plus bavard que d’habitude, en plus d’une narration très confuse. Et ce ne sont pas les apparitions de Calamity Jane ou des Dalton qui vont y changer quoi que ce soit. Jeux de mots graveleux (oui mais quand c’est un pédé qui les fait, c’est forcément plus fin…) et punchlines tombent à plat (problème de traduction ?). Le gag sur les cigarettes en chocolat proposées par Sprüngli à Luke (tout ça pour coller avec le calembour du titre de l’album…) s’écrase piteusement tel un vieux mégot, et la référence prévisible à Brokeback Mountain, qui devient Bareback Mountain (ouarf), peine à déclencher un sourire. Ralph en fait, on le vérifie au fil de ses productions, n’est jamais aussi bon que lorsqu’il parle de son quotidien et du milieu homo par le truchement de ses doubles Conrad et Paul. Si on avait été un peu moins convaincu avec son adaptation shakespearienne (« Iago »), on est ici carrément déçu.


Bref, pour Lucky Luke, l’honneur est sauf et l’icône « qui tire plus vite que son ombre » n’aura fait que suggérer que, eh bien lui aussi en est capable tout hétéro qu’il soit, de montrer ses côtés féminins en se baignant dans la rivière à oilpé avec Bud, grand timide un peu ballot incapable de saisir l’occasion pour proposer la « santiag » à notre cher cow-boy. Les cow-boys restent des cow-boys et les vaches ont été bien gardées.


Si on apprécie toujours les gros nez de König, cela ne suffit malheureusement pas à émettre une opinion réellement favorable sur cette production anodine et décevante, pas plus que le topo historique en fin d’ouvrage, d’ailleurs non sourcé, où l’on apprend que « la population de l’Ouest sauvage était bien plus diverse qu’on ne le croit généralement », qu’ « on y croisait des cow-boys gays, ainsi que des pétroleuses lesbiennes et des Amérindiens queers » et que « l’Ouest sauvage a bel et bien eu les couleurs de l’arc-en-ciel ». Dis-donc, Ralph, tu ne prendrais pas un peu tes désirs pour des réalités ? Pour un peu, tu nous ferais croire que la potence, les plumes et le goudron n’étaient rien d’autre qu’un sommet de volupté SM dans les backrooms du Far West. Allez Ralph, avoue, tu n’aurais pas un peu trop scotché sur les Village People ?

LaurentProudhon
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le 26 févr. 2022

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