Amusant : pendant que je fais une bédé sur mes problèmes de branlettes, y en a qui partent dans des pays soumis à un régime totalitaire pour raconter leur vie là-bas. Je dis pas qu'un sujet vaut mieux que d'autres (je serai toujours un grand fan des BD autobiographiques de Joe Matt et Crumb)... mais c'est quand même marrant de comparer les risques que chacun prend pour son métier. Ceci dit, j'aimerais bien tenter cette expérience, mais je sais pas comment m'y prendre (mon cv ne convainc déjà pas la croix rouge de m'engager pour du bénévolat alors bon...), et puis je sais pas trop comment j'annoncerais ça à ma compagne qui ne voudrait ni me suivre là-bas ni rester seule ici. Tant pis, je vais poursuivre mes bédés sur mes problèmes de branlette, même si ce sujet-là non plus ne lui plaît pas trop...
J'ai cru que j'allais pas trop accrocher. Le début est assez mou, voire anecdotique. De la même trempe que sa série "Le guide du mauvais père", que je trouve amusant, mais sans plus. DIsons que le bougre ne va pas très loin dans son délire autobiographique, c'est mignon, c'est convenu, quant à l'étude du terrain, ça reste du tourisme un peu bas de gamme étant donné que ce n'est pas lui le vrai aventurier, mais sa femme. Heureusement, un peu avant le tiers, Delisle se réveille un peu, propose des choses plus intéressantes, observe un peu mieux ce qui l'entoure. Il reste quelques passages 'mignons' et quelques chutes 'faciles', mais grosso-modo c'est mieux écrit. Précisons que c'est l'observation du territoire qui est intéressante. Il reste quelques raccourcis parfois gênants (comme cette histoire de croix gammée qui l'a mis hors de lui, alors que dans la région, on se rattache plus à la signification d'origine qu'à l'image qu'a donnée le nazisme) et il pourrait aller plus loin dans sa démarche mais ça reste un travail anthropologique d'un point de vue occidental plutôt intéressant (sans trop le faire exprès, l'auteur est constamment dans la comparaison entre nos deux sociétés).
Ce qui fait plaisir avec les dessinateurs issus du monde de l'animation, c'est qu'ils dessinent bien. Du moins dans un registre synthétique : ils savent aller à l'essentiel. Ils savent aussi faire parler les corps : le langage corporel est parfaitement maîtrisé et exploité, et cela permet d'économiser des mots, voire des vignettes, seulement par la justesse d'un geste. Et quand je parle d'aller à l'essentiel, c'est peu de le dire : le style de Delisle est vraiment très bon (du moins pour la BD, parce que pour ce qui est du livre pour enfant, c'est moins intéressant, des quelques dessins qu'il a pu montrer dans cet album), avec un seul trait il parvient à créer des volumes très facilement : on sent là les années d'expérience à storyboarder au plus vite des séquences animées. La mise en couleurs (des valeurs de gris en fait) fonctionne assez bien pour renforcer le volume, amener plus de profondeur (les montagnes en masses de gris), rendre plus lisible la case ; ça n'était pas nécessaire, mais le petit plus se justifie grâce à un travail intelligent. Le découpage est également assez clair, lipide, efficace. Seules les pages contenant une multitude de petites vignettes sont un peu moins lisibles : peut-être parce que c'est dessiné en trop petit ou parce qu'il y a trop d'information d'un coup, alors que Delisle excelle plutôt dans une mise en page aérée, sobre (surtout qu'il utilise très bien les lignes directrices, du coup, dans ce fourmillement de cases, on ne sait plus trop où poser son regard).
Bref, "Chroniques birmanes" est un chouette album, dommage que le début soit si mou.