Lâcheté et mensonges
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1972 : “Five Years ! That’s all we’ve got“ chantait Bowie, en introduction de son album "Ziggy Stardust". A l’époque, Bowie ne nous disait pas ce qui allait causer cette fin du monde, mais la réaction planétaire à cette annonce était une frénésie hédoniste, centrée autour de l’apparition d’une Rock Star extra-terrestre, condamnée à mourir sur scène littéralement dévorée par l’amour de ses fans.
2020 : Il reste 5 ans à l’humanité, mais aussi à la planète, au système solaire, à la galaxie, à l’univers tout entier, nous raconte Terry Moore. Ce cataclysme absolu serait causé par la folie des hommes, ou plutôt des politiques et des militaires engagés dans une course au développement d’un nouveau type de bombe, détruisant tous les atomes d’hydrogène autour d’elle ; or, comme le disait le grand écrivain de SF Harlan Ellison, et comme le rappelle Moore en introduction du premier chapitre de son "Cinq Ans", « Les deux éléments les plus répandus dans le monde sont l’hydrogène et la bêtise… »Pas d’annonce, pas de réaction planétaire puisqu’il s’agit là d’un secret d’état, découvert par un groupe de jeunes femmes « spéciales » qui va choisir de tout faire pour mettre en fin à cette menace en liquidant les responsables des programmes scientifiques et militaires.
En un demi-siècle, ce qui a donc changé, c’est 1) notre lucidité face à la folie de nos dirigeants – 2) notre reconnaissance que s’il y a quelqu’un qui peut nous sauver d’une fin pourtant quasi inéluctable, ce sont les femmes. D’ailleurs, chez Terry Moore, ces jeunes femmes, toutes charmantes – on reste dans les standards de la beauté américaine, Moore n’ayant pas encore renoncé à tous les codes du comic book -, vivent très bien sans hommes, et vont chercher l’amour entre elles.
Moore, qui a travaillé, on le sait, chez Marvel, a eu pour son "Cinq Ans", une idée pas très originale mais amusante, celle de réunir toutes ses (super)héroïnes et de créer son propre « MCU » (le Moore Comics Universe, donc !). Les héroïnes de "Strangers in Paradise", de "Echo", de "Rachel Rising" et de "Motor Girl" se retrouvent donc ici dans cette « mission : impossible », qui va donc entre-mêler dans un récit que l’on pourrait qualifier paresseusement de « choral » science-fiction et fantastique, tout en gardant, et c’est là bien entendu sa plus grande beauté, cette sensibilité exacerbée, cette focalisation sur les sentiments presque plus que sur l’action, qui est le génie de Terry Moore.
L’histoire de "Cinq Ans" est extraordinaire, les scènes d’espionnage et d’action sont palpitantes, le dessin est comme toujours chez Moore remarquable, on a envie que ce livre soit le chef d’œuvre qu’il se doit d’être… Mais malheureusement, deux éléments empêchent le livre de décoller complètement vers le sublime : d’abord, le lecteur peinera à distinguer certains des personnages – trop nombreux, dessinés de manière trop similaire – ce qui crée çà et là une confusion dommageable ; ensuite, les deux cent pages de "Cinq Ans" sont vraiment trop courtes pour rendre justice à une histoire potentiellement aussi riche, et on a le sentiment que Moore bâcle son récit, le boucle au forceps, et nous prive finalement et d’explications et d’une véritable résolution.
On referme donc "Cinq Ans" frustrés, et on se dit que l’on sen souviendra plus pour la finesse des relations entre les personnages que pour son récit pré-apocalyptique qui fait feu de tout bois et nous laisse finalement en plan avec un happy end trop facile.
[Critique écrite en 2020]
Retrouvez cette critique et bien d'autres sur Benzine Mag : https://www.benzinemag.net/2020/12/28/cinq-ans-terry-moore-cree-son-propre-mcu/
Créée
le 30 déc. 2020
Critique lue 81 fois
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